Le doxxing est désormais incriminé en droit français

L’article 6 de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République crée l’article 223-1-1 du code pénal, réprimant « [l]e fait de révéler, de diffuser ou de transmettre, par quelque moyen que ce soit, des informations relatives à la vie privée, familiale ou professionnelle d’une personne permettant de l’identifier ou de la localiser aux fins de l’exposer ou d’exposer les membres de sa famille à un risque direct d’atteinte à la personne ou aux biens que l’auteur ne pouvait ignorer ».

La loi pénale française introduit ainsi le délit de « doxxing » (ou « doxing ») en droit français, à la suite de l’assassinat de Samuel Paty en Octobre 2020, dont l’identité et le lieu de travail avaient été divulguées sur les réseaux sociaux.

L’étude d’impact du projet de loi avait noté que l’article 223-1 du code pénal qui incrimine la mise en danger de la vie d’autrui, définie comme le fait « d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence imposée par la loi ou le règlement », ne peut être invoqué pour réprimer le doxing.

De même, l’article 226-22 du code pénal, qui réprime la divulgation de données à caractère personnel ayant porté atteinte à la considération de l’intéressé ou à l’intimité de sa vie privée, punie de cinq ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende, ne réprime pas les atteintes à l’intégrité physique.

L’auteur des faits doit savoir que dévoiler ces informations met directement la victime ou ses biens en danger. Le Conseil d’État avait noté dans son Avis sur le projet de loi que « le délit ne sera (…) caractérisé que s’il peut être établi une intention manifeste et caractérisée de l’auteur des faits de porter gravement atteinte à la personne dont les éléments d’identification sont révélés ».

Le Conseil d’État avait également noté que :

« la caractérisation de l’infraction impose la démonstration d’une intention particulière de nuire qui permet de ne réprimer que les comportements commis dans le but de porter atteinte à une personne ou à sa famille, elle n’a pas pour objet et ne peut avoir pour effet de réprimer la révélation ou la diffusion de faits, de messages, de données, de sons ou d’images qui ont pour but d’informer le public alors même que ces informations pourraient ensuite être reprises et retransmises par des tiers dans le but de nuire à la personne qu’elles permettent d’identifier ou de localiser ».

La liberté de l’information pourra être invoquée en défense. Toutefois, l’article 223-1-1 du code pénal prévoit que « [l]orsque les faits sont commis par voie de presse écrite ou audiovisuelle ou de communication au public en ligne, les dispositions particulières des lois qui régissent ces matières sont applicables en ce qui concerne la détermination des personnes responsables », rappelant que la liberté d’expression est encadrée par la loi, en particulier la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.  

Le Ministère Public devra prouver l’élément moral de l’infraction, et cela pourrait s’avérer difficile, ou peut-être, plus tristement, facile. En effet, il est désormais possible d’argumenter que divulguer l’identité ou l’adresse d’une personne dont l’opinion enflamme une partie de la population entraîne nécessairement la connaissance du risque d’atteinte à la personne ou à ses biens.

Les controverses ne manquent pas et certains sujets, comme la nécessité des vaccins pour lutter contre la COVID-19, les caricatures du Prophète Mahomet, comme dans le cas de Samuel Paty, ou même les élections, du moins, aux États-Unis, entraînent de plus en plus fréquemment des réactions violentes.

Ce nouveau délit est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. La peine peut être portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende si la victime est mineure, ou bien« dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public ou titulaire d’un mandat électif public ou d’un journaliste, au sens du deuxième alinéa de l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse », ou encore si la victime est particulièrement vulnérable, en raison de son âge, d’une maladie, une infirmité, une déficience physique ou psychique, ou bien si la victime est enceinte.

Il faut toutefois que cette particulière vulnérabilité soit connue de l’auteur des faits., ce qui pourra parfois être délicat à prouver, si l’informité ou la déficience physique ou moral n’est ni connue en raison des liens de l’auteur et de la victime, ni apparente.

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La marque tridimensionnelle Rouge G de Guerlain peut être enregistrée comme marque de l’UE

Le Tribunal de l’Union européenne (TUE) a annulé le 14 juillet dernier la décision de la première chambre de recours de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) du 2 juin 2020 (affaire R 2292/2019-1), qui avait refusé la demande par Guerlain, le 19 octobre 2018, d’enregistrer comme marque de l’Union européenne un signe tridimensionnel constitué par la forme d’un rouge à lèvres oblongue, conique et cylindrique, en classe 3, pour des « Rouges à lèvres ».

Il s’agit du nouveau rouge à lèvres Rouge G, de Guerlain, qui s’ouvre en cliquant sur un petit bouton et contient un miroir intérieur.

L’examinateur avait refusé la demande d’enregistrement le 1er août 2019 au motif de l’absence de caractère distinctif de la marque conformément à l’article 7, paragraphe 1, point b) et l’article 7, paragraphe 2, du Règlement 2017/1001 du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union européenne  (RMUE).

Selon l’examinateur, le « consommateur pertinent percevra comme typiques des formes d’emballage des produits en cause » puisque « cet emballage n’est pas très différent d’autres formes d’emballage communément utilisées dans le commerce pour les produits en cause ».

Guerlain avait formé recours, argumentant, inter alia, que le consommateur pertinent a une attention élevée et que la « forme proposée (…) [de] coque de bateau dont l’extrémité porte sur sa surface un petit disque aux contours ovales » n’est pas « une forme commune pour les rouges à lèvres », et que la forme de l’emballage du produit est par conséquent « indépendante du produit en lui-même, celle-ci n’était pas uniquement dictée par son apparence ».

Premier refus pour absence de caractère distinctif

La Première chambre de recours de l’EUIPO avait rejeté le recours  le 2 juin 2020 comme non fondé parce que la marque tridimensionnelle était dépourvue de caractère distinctif au sens de l’article 7, paragraphe 1, point b), du RMUE.

Afin de pouvoir exercer sa fonction, une marque doit identifier l’origine commerciale des produits ou services qu’elle protège afin que les consommateurs puissent connaitre l’origine du produit ou des services. Ce caractère distinctif est apprécié par rapport aux produits ou aux services pour lesquels l’enregistrement est demandé et par rapport à la perception qu’en a le public pertinent.

Selon la Première chambre de recours de l’EUIPO, le public pertinent pour les rouges à lèvres est composé de « consommateurs finaux moyens avec un degré d’attention de moyen à élevé dépendant des variations de prix des produits sur le marché », qui n’ont pas l’habitude de

« présumer l’origine des produits en se fondant sur leur forme ou celle de leur emballage, en l’absence de tout  élément  graphique ou textuel,  et il pourrait donc s’avérer plus difficile d’établir le caractère  distinctif  d’une  telle  marque ».

Afin qu’une telle marque puisse avoir un caractère distinctif, il faut, selon la Première chambre de recours de l’EUIPO, qu’elle s’écarte, « de manière significative, de la norme ou des habitudes du secteur et, de ce fait, remplir sa fonction essentielle d’origine afin de posséder un caractère distinctif au sens de l’article 7, paragraphe 1, point b), du RMUE ».

Or, « les rouges à-lèvres usuels existant sur le marché, ne sont pas considérablement différents » de Rouge G, et sa forme « sera perçue comme une forme fonctionnelle et pratique : un étui pour pouvoir se maquiller facilement les lèvres, et non pas comme une marque pour rouges à lèvres ».

Guerlain forma un recours contre cette décision, qui fut annulée le 14 juillet dernier par le TUE.

Annulation de la décision par le TUE

Le TUE rappelle qu’il n’est pas nécessaire qu’un signe atteigne « un certain niveau de créativité ou d’imagination linguistique ou artistique de la part du titulaire de la marque » pour pouvoir être enregistré comme marque de l’Union européenne, si la marque permet au public pertinent d’identifier l’origine des produits ou des services qu’elle protège. Selon une jurisprudence constante, l’originalité de la marque n’est pas un critère d’appréciation de son caractère distinctif d’une marque de l’Union européenne.

Toutefois, il ne peut être exclu de prendre en compte

« l’aspect esthétique d’une marque prenant la forme de l’emballage d’un produit, en l’occurrence de son contenant, (…) parmi d’autres éléments, pour établir une différence par rapport à la norme et aux usages d’un secteur, pour autant que cet aspect esthétique soit compris comme renvoyant à l’effet visuel objectif et inhabituel produit par le design spécifique de ladite marque » (paragraphe 43).

Ainsi, l’aspect esthétique d’une marque ne doit pas être évalué d’une manière subjective, en décidant si elle est belle ou non, mais il convient de vérifier si la marque peut « générer un effet visuel objectif et inhabituel aux yeux du public pertinent » (paragraphe 44).

Le TUE constate que la forme de la marque en question « est inhabituelle pour un rouge à lèvres et diffère de toute autre forme existant sur le marché », en tenant compte des images de rouges à lèvres prises en considération par la chambre de recours comme étant la norme et les habitudes du secteur concerné.

La marque demandée, prise dans son ensemble, diffère bien de manière significative de la norme et des habitudes du secteur puisqu’elle rappelle celle d’une coque de bateau ou d’un couffin, alors que les produits prises en considération par la chambre de recours ont des formes parallélépipédiques.

De plus, le système d’ouverture de Rouge G par une charnière produit une « protubérance (…) insolite pour un tel produit et (…) contribue à l’apparence inhabituelle de cette marque ».

La forme de la marque demandée peut ainsi « être considérée comme fantaisiste pour un rouge à lèvres et diverge à ce titre de manière significative de la norme et des habitudes du secteur concerné » (paragraphe 55), d’autant plus que la forme de la marque demandée ne permet pas de faire tenir le produit à la verticale, ce qui « renforce l’effet visuel inhabituel pour le public pertinent de cette forme pour un rouge à lèvres » (paragraphe 56).

« Partant, le public pertinent doté d’un niveau d’attention allant de moyen à élevé sera surpris par cette forme facilement mémorisable et la percevra comme divergeant de manière significative de la norme et des habitudes du secteur des rouges à lèvres en mesure d’indiquer l’origine des produits concernés. Dès lors, c’est à tort que la chambre de recours a conclu que la marque demandée ne disposait pas d’un caractère distinctif, au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001. »

Le TUE conclue que la décision attaquée devait être annulée.

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AG Saugmandsgaard Øe délimite l’obligation de filtrage de l’article 17

M. l’avocat Général Henrik Saugmandsgaard Øe (AG Saugmandsgaard Øe) a présenté le 15 juillet dernier ses conclusions dans l’affaire C‑401/19, République de Pologne contre Parlement européen, Conseil de l’Union européenne.

Cette affaire est d’un grand intérêt parce que la Pologne demande à la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) d’annuler l’article 17, paragraphe 4, sous b) et sous c), in fine, de la directive 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et, à titre subsidiaire, d’annuler cet article 17 dans son intégralité.

Ces conclusions ne sont pas, selon leurs auteur, remises en cause par l’arrêt YouTube et Cyando (voir billet de blog précédent).

L’article 17, paragraph4 b) et c) de la directive 2019/790 dispose que :

« les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne sont responsables des actes non autorisés de communication au public, y compris la mise à la disposition du public, d’œuvres protégées par le droit d’auteur et d’autres objets protégés, à moins qu’ils ne démontrent qu’[ils] (b)(…) ont fourni leurs meilleurs efforts, conformément aux normes élevées du secteur en matière de diligence professionnelle, pour garantir l’indisponibilité d’œuvres et autres objets protégés spécifiques pour lesquels les titulaires de droits ont fourni aux fournisseurs de services les informations pertinentes et nécessaires; et en tout état de cause (…) (c)ils ont agi promptement, dès réception d’une notification suffisamment motivée de la part des titulaires de droits, pour bloquer l’accès aux œuvres et autres objets protégés faisant l’objet de la notification ou pour les retirer de leurs sites internet, et ont fourni leurs meilleurs efforts pour empêcher qu’ils soient téléversés dans le futur, conformément au point b). »

Les fournisseurs de services de partages de contenus en ligne

L’article 2, point 6, premier alinéa, de la directive définit les fournisseurs de services de partages de contenus en ligne comme des :

« fournisseur[s] d’un service de la société de l’information dont l’objectif principal ou l’un des objectifs principaux est de stocker et de donner au public l’accès à une quantité importante d’œuvres protégées par le droit d’auteur ou d’autres objets protégés qui ont été téléversés par ses utilisateurs, qu’il[s] organise[nt] et promeu[vent] à des fins lucratives ».

AG Saugmandsgaard Øe note que bien que les termes de cette définition soient ouverts, « il en ressort clairement que cet article 17 concerne les « grands » prestataires de services de partage, réputés liés au « Value Gap » , et dont cette définition vise, à l’évidence, à refléter le fonctionnement » et souligne (note 33) que le considérant 62 de la directive 2019/790 précise que la notion de « fournisseurs de services de partage de contenus en ligne » vise les services qui « jouent un rôle important sur le marché des contenus en ligne en étant en concurrence pour les mêmes publics avec d’autres services de contenus en ligne, comme les services de diffusion audio et vidéo en flux continu ».

Filtrage et blocage

L’article 17 de la directive 2019/790 prévoit un nouveau régime de responsabilité applicable aux prestataires de services de partage en ligne. Ceux-ci doivent surveiller les contenus que leurs utilisateurs mettent en ligne, afin de prévenir le téléversement sans autorisation des titulaires de droits d’œuvres et d’objets protégés.

En pratique, ces prestataires doivent filtrer les contenus téléversés par le biais de programmes informatiques ad hoc, bien que, comme le rappelle AG Saugmandsgaard Øe dans le point 60, l’article 17 n’impose pas de manière formelle l’adoption de mesures ou de techniques spécifiques. Le considérant 68 de la directive 2019/790 indique simplement que les fournisseurs de services de partage sont « susceptibles d’entreprendre diverses actions ». En outre, le considérant 66, deuxième alinéa, de la directive indique qu’il faut tenir compte, pour « déterminer si un fournisseur de services de partage de contenus en ligne a fourni ses meilleurs efforts … [desmeilleures pratiques du secteur … [et de] « l’état de l’art».

L’article 14 de la directive 2000/31 sur le droit d’auteur exonère les prestataires de service de toute responsabilité pour avoir stocké une information illicite à la demande d’un de leurs utilisateurs s’ils n’avaient pas connaissance de cette information ou bien si, le cas échéant, ils ont promptement l’information ou en ont bloqué l’accès. L’article 14 n’exige pas que le prestataire surveille les informations téléversées sur ses serveurs ni ne recherche activement les informations illicites qui pourraient s’y trouver.

La Pologne souligne que l’article 17 de la directive 2019/790 donne désormais aux fournisseurs de services de partage la responsabilité de surveiller, d’une manière préventive, les informations téléversées par leurs utilisateurs et non plus simplement de réagir promptement une fois informés de l’existence d’une information illicite.

Filtrage, blocage, et droits de l’homme

Selon la Pologne, cette pratique peut mettre en danger la liberté d’expression des utilisateurs des services de partage, garantie à l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (la « Charte »). Ce droit est également protégé par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH ).

L’article 52, paragraphe 3, de la Charte dispose que ces deux droits ont le même sens ou, du moins la même portée et ainsi l’article 11 de la Charte doit être interprété à la lumière de l’article 10 de la CEDH et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CtEDH) y afférente.

Selon la Pologne, les  mesures de filtrage nécessaires au respect de l’article 17 sont des «mesures préventives » de contrôle des informations des utilisateurs et entraîneraient des «restrictions préalables», au sens de la jurisprudence de la CtEDH relative à l’article 10 de la CEDH, et pourraient même entrainer une « censure générale automatisée de nature préventive » des fournisseurs, ce qui constitueraient une « ingérence » dans la liberté d’expression et d’information de leurs utilisateurs.

La Pologne demande à la CJEU, dans le prolongement de ses arrêts Scarlet Extended, Sabam, et Glawischnig-Piesczek, de déterminer si le filtrage est compatible avec la liberté d’expression, et, si elle l’est, dans quelles conditions.

AG Saugmandsgaard Øe estime que les dispositions attaquées constituent effectivement une « ingérence » dans la liberté d’expression des utilisateurs des services de partage » et dans la liberté du public de recevoir des informations (point 78 et 80). Cette « ingérence » dans la liberté d’expression des utilisateurs est imputable au législateur de l’Union (point 84). Il souligne que pour être exonéré de leur responsabilité, filtrer et bloquer les bloquer illicites n’est pas une simple possibilité pour les fournisseurs, « mais une nécessité, sauf à supporter un risque démesuré de responsabilité » (point 86). Est- que cette limitation est compatible avec la Charte ?

AG Saugmandsgaard Øe rappelle que la liberté d’expression n’est pas absolue et peut être limitée par les lois, si elles respectent le « contenu essentiel » de cette liberté, et le principe de proportionnalité (point 89). Il en est de même pour l’article 10 de la CEDH, qui admet les ingérences dans la liberté d’expression si elle est « prévue par la loi », poursuit un ou plusieurs buts légitimes et si elle est « nécessaire dans une société démocratique ».

La limitation est « prévue par la loi »

En l’espèce, la limitation a manifestement une base légale, l’article 17 de la directive 2019/790, dont ces dispositions satisfont à l’exigence de « prévisibilité ». Selon AG Saugmandsgaard Øe, ces dispositions sont suffisamment claires et précises, même si la définition du « fournisseur de services de partage de contenus en ligne » de l’article 2, point 6, « contiennent plusieurs notions ouvertes », telles la « quantité importante d’œuvres protégées par le droit d’auteur ou d’autres objets protégés » les « meilleurs efforts » ou bien les « normes élevées du secteur en matière de diligence professionnelle ».

La limitation en cause respecte le « contenu essentiel » du droit à la liberté d’expression

Selon l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, toute limitation de l’exercice des droits et libertés doit « respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés » et ainsi une mesure portant atteinte à ce « contenu essentiel » serait contraire à la Charte.

AG Saugmandsgaard Øe n’est pas de l’avis que l’article 17 porte atteinte au « contenu essentiel » du droit à la liberté d’expression. Il note que les grandes plateformes et les réseaux sociaux, en particulier, offrent à leurs utilisateurs un moyen d’exprimer leurs opinions « en principe, sans ingérence d’autorités publiques » (point 103). Le « contenu essentiel » du droit à la liberté d’expression serait en revanche touché, selon AG Saugmandsgaard Øe, si les autorités publiques imposaient aux prestataires, directement, ou indirectement, de surveiller préventivement leurs utilisateurs (point 104).

L’article 15 de la directive 2000/31 est « d’une importance fondamentale » parce qu’il prévoit que les prestataires intermédiaires ne peuvent être obligés de surveiller, d’une manière générale, les informations qu’ils transmettent ou stockent », ce qui est nécessaire pour « qu’Internet reste un espace libre et ouvert » (point 105).

Cette interdiction d’une surveillance généralisée est ainsi un « principe général du droit régissant l’internet, en ce qu’il concrétise, dans l’environnement numérique, la liberté fondamentale de communication » (point 106).

Obligation de surveillance générale ou spécifique ?

Selon AG Saugmandsgaard Øe, l’interdiction prévue à cet article 15 est « un principe général du droit régissant l’internet, en ce qu’il concrétise, dans l’environnement numérique, la liberté fondamentale de communication ». Il rappelle cependant que la CtEDH, dans son arrêt Delfi AS. c. Estonie, avait admis que certains intermédiaires puissent activement surveiller leurs services afin de rechercher certains types d’informations illicites. Le considérant 47 de la directive 2000/31 dispose d’ailleurs que l’interdiction faite aux États membres d’imposer aux prestataires de services une obligation de surveillance « ne concerne pas les obligations de surveillance applicables à un cas spécifique […] »).

L’obligation de surveillance imposée aux fournisseurs de services de partage en application des dispositions attaquées n’est pas générale selon AG Saugmandsgaard Øe, mais spécifique » Il reconnait tout de même que la jurisprudence de la CJUE «  a connu une évolution récente quant au critère distinguant le « général » du « spécifique » » (point 110), une évolution jurisprudentielle qu’il estime « justifiée »(point 113).

En effet, dans son arrêt L’Oréal, la CJUE avait jugé que l’exploitant d’une place de marché en ligne ne peut être obligé de procéder à « une surveillance active de l’ensemble des données de chacun de ses clients afin de prévenir toute atteinte future à des droits de propriété intellectuelle ».  

Puis, dans son arrêt Scarlet Extended, la Cour avait jugé qu’un fournisseur d’accès Internet ne peut être enjoint à mettre en place un système de filtrage s’appliquant à « toutes les communications électroniques transitant par ses services » et donc « indistinctement à l’égard de toute sa clientèle », et ce afin « d’identifier sur le réseau de ce fournisseur la circulation de fichiers électroniques contenant une œuvre musicale, cinématographique ou audiovisuelle sur laquelle le demandeur prétend détenir des droits de propriété intellectuelle, en vue de bloquer le transfert de fichiers dont l’échange porte atteinte au droit d’auteur ». Il en est de même, depuis l’arrêt Sabam , en ce qui concerne les exploitants d’une plateforme de réseau social.

La CJEU, dans son arrêt Glawischnig-Piesczek , a néanmoins jugé légale la surveillance d’un exploitant d’un réseau social de l’ensemble des informations mises en ligne sur son réseau si elle est « spécifique », tel, en l’espèce, la recherche d’une information diffamante « précise » afin de la bloquer, alors que le prestataire n’était pas obligé de procéder à une « appréciation autonome » de la licéité des informations filtrées, mais qu’il pouvait « recourir à des techniques et à des moyens de recherche automatisés » .

Les fournisseurs de services de partage doivent surveiller l’ensemble des contenus mis en ligne par leurs utilisateurs mettent en ligne, mais ils ne doivent rechercher que les « œuvres ou autres objets protégés spécifiques […] pour lesquels les titulaires de droits [leur] ont fourni […] les informations pertinentes et nécessaires » (article 17 paragraphe 4, sous b), de la directive 2019/790).

Ainsi, le législateur de l’Union peut, sans porter atteinte au « contenu essentiel » de la liberté d’expression, imposer « certaines mesures de surveillance active, concernant certaines informations illicites spécifiques, à certains intermédiaires en ligne » (point 115).

La limitation en cause est nécessaire

Afin de respecter le principe de proportionnalité, cette limitation doit être à la fois « nécessaire » et « répondre effectivement à un objectif d’intérêt général reconnu par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui ». Seul le caractère nécessaire de la limitation est débattu en l’espèce, puisque la protection la propriété intellectuelle est protégée en tant que droit fondamental, par l’article 17, paragraphe 2, de la Charte et à l’article 1er du protocole nº 1 à la CEDH .

Selon AG Saugmandsgaard Øe, la limitation est « appropriée » en ce qu’elle incite les fournisseurs à conclure des accords de licence avec les titulaires de droits. Elle est « proportionnée » puisque sesinconvénients ne sont pas démesurés par rapport aux buts visés, la protection de la propriété intellectuelle, en particulier dans un environnement numérique, alors que les titulaires de droit souffrent d’un préjudice économique suite au partage de leurs œuvres en ligne sans autorisation

Tenir les prestataires intermédiaires pour responsables des informations illicites fournies par les utilisateurs de leurs services crée un risque important pour la liberté d’expression, parce qu’afin d’échapper à tout risque de responsabilité, ceux-ci peuvent être tentés de « sur-bloquer », en particulier parle recours à des outils de reconnaissance automatique de contenu, et ce « au moindre doute sur leur licéité »  (point 142). Les titulaires de droit n’ont pourtant pas un monopole absolu sur l’utilisation de leurs objets protégés, puisque l’article 5, paragraphe 3, de la directive 2001/29 contient une liste d’exceptions et limitations au droit exclusif de « communication au public »., telles la caricature, la parodie ou le pastiche.

Or, « une partie significative des contenus mis en ligne par les utilisateurs sur les services de partage consiste en des utilisations, voire des réappropriations créatives, d’œuvres et d’autres objets protégés susceptibles d’être couvertes par ces exceptions et limitations » (point 146), bien que « [l]a ligne séparant une utilisation légitime de la contrefaçon peut s’avérer, dans différents cas, discutable » (point 146).

Afin de prévenir le risque de « sur-blocage », un régime de responsabilité tel que celui résultant des dispositions attaquées doit, selon AG Saugmandsgaard Øe, être accompagné de garanties suffisantes pour minimiser les risques pour la liberté d’expression et

« doit s’inscrire dans un cadre légal fixant des règles claires et précises régissant la portée et l’application des mesures de filtrage devant être mises en œuvre par les prestataires de services visés, de nature à assurer aux utilisateurs de ces services une protection efficace contre le blocage abusif ou arbitraire des informations qu’ils souhaitent mettre en ligne » (point 150).

Selon la requérante, les mesures de filtrage et de blocage prises par les fournisseurs de services de partage devraient être prises ex ante, sans déterminer préalablement si le contenu porte bien atteinte à un droit de propriété intellectuelle. L’utilisateur peut ensuite formuler une plainte en ligne s’il estime que le contenu partagé est légitime et celui-ci peut ensuite être remis en ligne si la plainte est estimée légitime.

Ce n’est pas l’interprétation du Parlement, du Conseil et de la Commission, pour qui le droit des utilisateurs des services de partage d’utiliser les légitimement objets protégés en vertu de l’article 17, paragraphe 7, de la directive 2019/790, « devrait être pris en compte ex ante par les fournisseurs de ces services, dans le processus même de filtrage », interprétation à laquelle se rallie AG Saugmandsgaard Øe.

La Commission a publié le 4 juin dernier ses orientations sur l’application de l’article 17 de la directive 2019/790 , qui indiquent , pour la première fois, que les titulaires de droits doivent pouvoir « réserver » (earmark) les objets dont la mise en ligne non autorisée est « susceptible de leur causer un préjudice économique significatif », à l’égard desquels les fournisseurs devraient faire preuve d’une diligence particulière. AG Saugmandsgaard Øe note que 

« [s]i cela doit être compris en ce sens que ces mêmes fournisseurs devraient bloquer ex ante des contenus sur simple allégation d’un risque de préjudice économique important par les titulaires de droits – les orientations ne contenant pas d’autre critère limitant objectivement le mécanisme de « réservation » à des cas particuliers  –, quand bien même ces contenus ne seraient pas manifestement contrefaisants, je ne peux pas y souscrire, sauf à revenir sur l’ensemble des considérations exposées dans ces conclusions. »

L’interdiction des obligations générales de surveillance (paragraphe 8)

Le paragraphe 8 de l’article 17 de la directive 2019/790 dispose que « l’application de [cet article] ne donne lieu à aucune obligation générale de surveillance ». Les prestataires intermédiaires ne sont pas compétents pour apprécier d’une manière autonome la légalité des informations mises en ligne sur leurs plateformes et ne « sauraient […] être transformés en arbitres de la légalité en ligne, chargés de trancher des questions juridiques complexes » (point 197). C’est pourquoi, selon AG Saugmandsgaard Øe, un prestataire intermédiaire ne doit être tenu de bloquer que les informations « dont l’illicéité a, au préalable, été établie par un juge ou, à défaut, des informations dont le caractère illicite s’impose d’emblée, c’est‑à‑dire manifestement, sans, notamment, qu’il soit nécessaire de les contextualiser » (point 198).

Il découle de l’arrêt Glawischnig-Piesczek qu’un prestataire intermédiaire ne peut être obligé de procéder, conformément à l’article 15 de la directive 2000/31, à un filtrage généralisé des informations qu’il stocke à la recherche de n’importe quelle contrefaçon, mais peut le contraindre à bloquer un contenu précis. Cette interprétation de l’article 15 de la directive 2000/31, est « transposable, mutatis-mutandis, à l’article 17, paragraphe 8, de la directive 2019/790 » (point 201).

Ainsi, l’article 17 de la directive 2019/790 garantit d’une manière suffisante le droit à la liberté d’expression et AG Saugmandsgaard Øe suggère à la CJUE de rejeter le recours de la Pologne.

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Le Baiser de Brancusi ne quittera pas le cimetière du Montparnasse

La sculpture Le Baiser, crée par Constantin Brancusi, ne quittera pas le cimetière du Montparnasse à Paris. Ainsi en a décidé le Conseil d’État le 2 juillet 2021.

Cette sculpture orne la tombe de Tatiania Rachewskaïa, une jeune femme russe qui s’était suicidée en décembre 1910 à Paris où elle vivait alors, sans doute par suite d’un chagrin d’amour. Elle avait été inhumée au cimetière du Montparnasse, et une concession funéraire à titre perpétuel avait été acquise par son père le 12 décembre 1910. Sa tombe comporte une stèle faisant socle qui porte épitaphe qui soutient la troisième version de la sculpture intitulée Le Baiser, réalisée par Constantin Brancusi en 1909. L’artiste vivait et travaillait dans son atelier à Paris, après avoir fait partie brièvement de l’atelier d’Auguste Rodin.

Le Baiser avait été élevé le 4 octobre 2006 au rang de trésor national par un arrêté du ministre de la culture et ce dernier avait refusé de délivrer le certificat demandé en vue de son exportation. Le préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris, avait inscrit par un arrêté du 21 mai 2010 la tombe de Tatiania Rachewskaïa, y compris Le Baiser et son socle formant stèle, au titre des monuments historiques, argumentant que :

« (…) la conservation du groupe sculpté :  » Le Baiser  » réalisé par Constantin Brancusi en 1909 et installé sur la tombe de Tania O… à son décès en 1910 présente au point de vue de l’histoire et de l’art un intérêt public en raison d’une part, de sa place essentielle dans l’œuvre de Brancusi et de sa qualité intrinsèque qui en fait une œuvre majeure, d’autre part, de son intégration à l’ensemble de la tombe avec son socle constituant la stèle funéraire portant l’épitaphe gravée et signée par Brancusi ».

Les ayants droit de la concession funéraire à titre perpétuel avaient déposé une demande de travaux le 8 mars 2016, en application de l’article L. 622-22 du code du patrimoine, afin de faire déposer Le Baiser, et de pouvoir ainsi vendre la sculpture. Cette demande avait été rejetée le 17 mars 2016, au motif que « la tombe, avec le groupe sculpté  » Le Baiser  » de Constantin Brancusi et son socle formant stèle est un immeuble inscrit en totalité parmi les monuments historique ».

Les ayants droit avaient demandé au tribunal administratif de Paris d’annuler pour excès de pouvoir l’arrêté du 21 mai 2010 ainsi que l’annulation pour excès de pouvoir de la décision du 28 juin 2016 par laquelle ce même tribunal avait rejeté le recours gracieux formé contre la décision du 17 mars 2016 .

Le tribunal administratif de Paris avait rejeté leurs demandes le 12 avril 2018, mais la cour administrative d’appel de Paris avait annulé ce jugement et enjoint le préfet de Paris de réexaminer la déclaration de travaux dans un délai de trois mois à compter de la notification de son arrêt. Le Conseil d’État statuant au contentieux, avait fait droit le 31 mars dernier à la demande de la ministre de la culture tendant à ce qu’il soit sursis à l’exécution de cet arrêt.

Une des versions de la sculpture de Brancusi

Compétence du préfet

L’article 34 du décret du 30 mars 2007 relatif aux monuments historiques et aux zones de protection du patrimoine architectural dispose que  » [l]’inscription d’un immeuble au titre des monuments historiques est prononcée par arrêté du préfet de région après avis de la commission régionale du patrimoine et des sites réunis en formation plénière (…) » et ainsi le préfet de la région Île-de-France, préfet de Paris, était compétent, selon le Conseil d’État pour inscrire Le Baiser au titre des monuments historiques.

Le Baiser et son socle formant stèle constituent, avec la tombe, un immeuble par nature

Le monument funéraire est bien un immeuble, au sens de l’article 518 du Code civil selon lequel « [l]es fonds de terre et les bâtiments sont immeubles par leur nature ». Selon le Conseil d’État, un monument funéraire construit sur un caveau servant de fondation, même si celui qui a érigé le monument n’est pas le propriétaire du sol, « doit être regardé globalement, avec tous les éléments qui lui ont été incorporés et qui composent l’édifice, comme un bâtiment, au sens et pour l’application de l’article 518 du code civil ».

En l’espèce, le père de Tatiania Rachewskaïa avait voulu ériger sur la tombe de sa fille un monument funéraire accueillant Le Baiser, qu’il avait acheté au sculpteur « sur la recommandation de l’amant de sa fille disparue, en hommage à la jeune femme ». La sculpture et la stèle faisant socle avaient été réalisées à sa demande par un marbrier. Le Baiser avait ensuite été fixé et scellé sur le socle.

Selon le Conseil d’État, Le Baiser est ainsi devenu un élément de l’édifice et « a perdu son individualité lorsqu’il a été incorporé au monument funéraire, sans qu’importe la circonstance ni que l’œuvre n’ait pas été réalisée à cette fin par Constantin Brancusi, ni qu’elle ait été implantée quelques semaines après le décès de la jeune femme ».

Le Baiser et son socle formant stèle constituent, avec la tombe, un immeuble par nature.

Selon le Conseil d’État :

« la seule circonstance qu’un élément incorporé à un immeuble n’ait pas été conçu à cette fin et qu’il puisse en être dissocié sans qu’il soit porté atteinte à l’intégrité de cet élément lui-même ou à celle de l’immeuble n’est pas de nature à faire obstacle au caractère d’immeuble par nature de l’ensemble, qui doit être apprécié globalement ».

Il conclut que Le Baiser peut être regardé comme un immeuble par nature, même s’il n’avait pas été créé à cette fin par son auteur et qu’il n’est pas établi qu’il ne pouvait en être descellé sans porter atteinte à son intégrité, ni à celle du monument funéraire, si le « monument avait été conçu comme un tout indivisible incorporant ce groupe sculpté », ce qu’aurait dû rechercher la cour administrative d’appel.

Droit de propriété et patrimoine

Selon l’article L. 621-27 du code du patrimoine (et non L. 621-17 du code du patrimoine comme indiqué par erreur sur le site du Conseil d’État :

«L’inscription au titre des monuments historiques est notifiée aux propriétaires et entraînera pour eux l’obligation de ne procéder à aucune modification de l’immeuble ou partie de l’immeuble inscrit, sans avoir, quatre mois auparavant, avisé l’autorité administrative de leur intention et indiqué les travaux qu’ils se proposent de réaliser./ Lorsque les constructions ou les travaux envisagés sur les immeubles inscrits au titre des monuments historiques sont soumis à permis de construire, à permis de démolir, à permis d’aménager ou à déclaration préalable, la décision accordant le permis ou la décision de non-opposition ne peut intervenir sans l’accord de l’autorité administrative chargée des monuments historiques (…)» .

Les propriétaires d’un bien immeuble inscrit au titre des monuments historiques ne sont pourtant pas, selon le Conseil d’État, privé ainsi de leur droit de propriété, mais cette inscription « a cependant pour effet, par elle-même, de limiter l’exercice du droit de propriété ». Ce droit est garanti par l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, selon lequel ce droit est « inviolable et sacré » et dont « nul ne peut en être privé ». L’article 17 prévoit néanmoins une exception à cette règle « lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ».  

Droit de propriété et droits de l’homme

L’article premier du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales dispose que « [t]oute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international », mais autorise néanmoins les États à mettre en vigueur des lois réglementant « l’usage des biens conformément à l’intérêt général ».

Afin de déterminer quel intérêt doit prévaloir, celui du propriétaire du bien ou bien celui de l’état, le juge doit tenir compte de l’ensemble des effets juridiques d’une décision individuelle prise sur la base d’une réglementation affectant les droits de propriété et déterminer « s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les limitations constatées à l’exercice du droit de propriété et les exigences d’intérêt général qui sont à l’origine de cette décision ».

En l’espèce, l’arrêté du préfet de Paris affecte bien l’exercice du droit de propriété des ayants droit du père de la défunte, mais ces limitations « sont justifiées par l’objectif d’intérêt général de conservation du patrimoine national ». Les travaux d’entretien et de réparation nécessaire à la conservation de l’immeuble inscrit au titre des monuments historiques peuvent être réalisés et sont en outre subventionnés en vertu de l’article L. 621-29 du code du patrimoine, dans la limite de 40% de la dépense effective.

Le CE semble ainsi jouer à prétendre que le souci principal des ayants-droits est la protection de l’œuvre et non sa valeur marchande, qui n’est certes pas des moindres. Une œuvre en bronze de Brancusi, la Muse Endormie, avait été vendue aux enchères à New York en 2017 pour plus de 57 millions de dollars américains.

Le CE conclut que l’arrêté attaqué ne porte pas « au droit de propriété des requérants une atteinte disproportionnée au but d’intérêt général poursuivi par l’arrêté attaqué ».

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CJUE: exploitants de plates-formes en ligne ne font en principe pas, eux-mêmes, une communication au public des contenus protégés par le droit d’auteur que leurs utilisateurs mettent illégalement en ligne

Le 22 juin 2021, la grande chambre de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu un arrêt dans les affaires jointes C-682/18, C-683/18, YouTube et Cyando.

Selon la CJUE, en l’état actuel du droit de l’Union, les exploitants de plates-formes en ligne ne font en principe pas, eux-mêmes, une communication au public des contenus protégés par le droit d’auteur que leurs utilisateurs mettent illégalement en ligne.

En outre, l’article 14, paragraphe 1, de la directive sur le commerce électronique doit être interprété en ce sens que l’activité de ces exploitants relève du champ d’application de cette disposition, s’ils ne jouent pas un rôle actif de nature à leur conférer une connaissance ou un contrôle des contenus téléversés sur leurs plateformes.

La directive 2019/790 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique n’était pas entrée en vigueur au moment des faits et les questions préjudicielles posées ne la concernent pas. L’arrêt rendu par la CJUE a d’ailleurs soin de noter que la décision est « en l’état actuel du droit de l’Union. ».

Les faits qui ont donné lieu à l’affaire C‑682/18 étaient les suivants :

Un producteur de musique avait conclu avec une artiste un contrat exclusif. Des œuvres d’un des albums de la musicienne, ainsi que des extraits d’un de ses concerts, avaient été publiés sans autorisation sur la plateforme YouTube. L’accès à ces informations avait été bloqué, puis rendu disponible à nouveau quelque temps après.

Le producteur avait demandé au Landgericht Hamburg, le tribunal régional d’Hambourg, en Allemagne, d’ordonner à Google et YouTube de cesser de mettre ces contenus à la disposition du public. Le tribunal avait fait droit à ces demandes pour trois œuvres seulement. En appel, l’Oberlandesgericht Hamburg, le tribunal régional supérieur d’Hambourg, avait en partie reformé le jugement de première instance, tout en notant que YouTube n’était pas responsable de la création ni de la publication du contenu illicite.  

Les faits qui ont donné lieu à l’affaire C‑683/18 étaient les suivants :

La maison d’édition Elsevier, titulaire des droits d’exploitation exclusifs des œuvres en cause, Gray’s Anatomy for Students, Atlas of Human Anatomy et Campbell-Walsh Urology, avait constaté que celles-ci avaient été téléversées sans autorisation sur une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers exploitée par la société Cyando. Cette dernière en avait été informé par notification de la maison d’édition. Elsevier avait demandé au Landgericht München, le tribunal régional de Munich, d’ordonner la cessation de ces atteintes au droit d’auteur et le tribunal avait condamné Cyando comme complice des atteintes au droit d’auteur. En appel, l’Oberlandesgericht München (tribunal régional supérieur de Munich,) considéra que Cyando ne pouvait être l’auteur des atteintes au droit d’auteur puisqu’il ne fait que fournir les moyens techniques permettant à ses utilisateurs de téléverser les œuvres.

Le Bundesgerichtshof, la Cour fédérale de justice, avait été saisi des deux affaires et avait posé dans ses deux affaires plusieurs questions préjudicielles à la CJUE, qui portaient, inter alia, sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, et de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (directive sur le droit d’auteur) et de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur ( directive commerce électronique).

La CJEU avait lié les affaires C‑682/18 et C‑683/18.

Est-ce que l’exploitant d’une plateforme de partage de vidéos ou d’une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers effectue lui-même un « acte de communication » ?

L’article 3-1 de la directive sur le droit d’auteur dispose que les « États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement ».

Selon la CJEU, la notion de « communication au public », au sens de l’article 3-1 de la directive sur le droit d’auteur couvre « toute communication au public non présent au lieu d’origine de la communication » ce qui englobe « toute transmission ou retransmission, de cette nature, d’une œuvre au public, par fil ou sans fil, y compris la radiodiffusion ».

Il convient néanmoins de maintenir un « juste équilibre » entre l’intérêt des titulaires des droits d’auteur et des droits voisins à protéger leurs droits et la protection des intérêts et des droits fondamentaux des utilisateurs d’objets protégés, en particulier de leur liberté d’expression et d’information. Ce « juste équilibre » doit être recherché, selon la CJUE, « en tenant compte également de l’importance particulière d’Internet pour la liberté d’expression et d’information ».

Selon une jurisprudence bien établie de la CJEU, une communication au public associe deux éléments cumulatifs :

  • un acte de communication d’une œuvre et
  • la communication de cette œuvre à un public.

C’est pourquoi une appréciation individualisée est nécessaire, en tenant compte de critères complémentaires « de nature non autonome et interdépendants les uns par rapport aux autres » et qui peuvent être présents avec une intensité très variable, ce qui requiert de les appliquer individuellement, mais également dans leur interaction les uns avec les autres (VG Bild–Kunst, C‑392/19, point 34).

L’un de ces critères est « le rôle incontournable joué par l’exploitant de la plateforme et le caractère délibéré de son intervention ». Donner accès au public à une œuvre protégée en pleine connaissance des conséquences de son comportement, est bien un acte de communication. La notion de public est large puisqu’elle vise un nombre indéterminé de destinataires potentiels et implique, par ailleurs, un nombre de personnes assez important (voir par exemple, BY c. XC, C‑637/19, point 26).

En outre, pour être communiquée au public, l’œuvre doit avoir été communiquée selon un mode technique spécifique, différent de ceux utilisés auparavant, ou, à défaut, avoir été communiquée à un « public nouveau », qui n’avait pas été déjà pris en compte par le titulaire du droit lorsqu’il a autorisé la communication initiale de son œuvre au public (Nederlands Uitgeversverbond et Groep Algemene Uitgevers, C‑263/18 point 70 ).

Ce sont les utilisateurs des plateformes, et non-celles-ci, qui téléversent des contenus potentiellement illicites et ce sont également eux qui décident si ces contenus sont mis à la disposition d’auteurs utilisateurs. La plateforme exploitée par Cyando communique exclusivement le lien permettant d’avoir accès au contenu à l’utilisateur qui l’a téléchargé et celui-ci peut décider de le communiquer ou non à des tiers. YouTube permet à ses utilisateurs de téléverser des contenus en mode privé.

La CJEU cita son arrêt Stichting Brein, C‑610/15, point 26, qui avait précisé qu’un

« utilisateur réalise un acte de communication lorsqu’il intervient, en pleine connaissance des conséquences de son comportement, pour donner à ses clients accès à une œuvre protégée, et ce notamment lorsque, en l’absence de cette intervention, ces clients ne pourraient, ou ne pourraient que difficilement, jouir de l’œuvre diffusée ».

Dans notre affaire, les utilisateurs ayant téléchargé ces contenus avaient bien fait acte de communication au public puisqu’ils avaient donné, par l’intermédiaire des plateformes, accès à des œuvres protégées à des tiers, et ce sans l’accord des titulaires des droits d’auteurs ou des droits voisins.

Si l’exploitant joue bien « un rôle incontournable dans la mise à disposition de contenus potentiellement illicites, effectuée par ses utilisateurs, » cela n’est pas le seul critère que les tribunaux doivent considérer, et le critère du caractère délibéré de l’intervention de l’exploitant doit également être considéré, sans cela toute « fourniture d’installations destinées à permettre ou à réaliser une communication » serait un acte de communication au public, une interprétation qui serait contraire au considérant 27 de la directive sur le droit d’auteur selon lequel simplement fournir des installations destinées à permettre ou à réaliser une communication n’est pas une communication au sens de la directive.

L’exploitant doit être intervenu « en pleine connaissance des conséquences de son comportement dans le but de donner au public accès à des œuvres protégées pour cette intervention soit un acte de communication (Cyando, point 81). Il n’est pas suffisant que l’exploitant connaisse, « d’une manière générale, la disponibilité illicite de contenus protégés sur sa plateforme », sauf s’il a été averti par le titulaire des droits qu’un contenu protégé a été illégalement communiqué au public par l’intermédiaire de sa plateforme et qu’il s’abstient de prendre « promptement » les mesures nécessaires pour rendre le contenu inaccessible (Cyando, point 85). Le simple fait que l’exploitant poursuive un but lucratif ne présume ni n’établit le caractère délibéré d’une communication illicite de contenus protégés (Cyando, point 86).

La CJEU précisa que son arrêt GS Media (C-160/1) ne devait pas être interprété comme établissant une telle présomption. La CJEU avait jugé dans cette affaire que fournir un lien hypertexte vers une œuvre protégée, sans l’autorisation du titulaire du droit d’auteur, constitue une « communication au public » au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive sur le droit d’auteur, si la personne savait que l’œuvre avait été publiée illégalement, si le lien permet de contourner des mesures de restriction prises par le site où se trouve l’œuvre protégée ou si le placement du lien est effectué dans un but lucratif, auquel cas la connaissance du caractère illégal de la publication doit être présumée. Il semble ainsi que GS Media ne s’applique pas aux plateformes.

La CJUE nota que YouTube n’intervient pas dans la création des contenus téléversés par ses utilisateurs, et, qu’en autre, ceux-ci sont clairement informés qu’il leur est interdit de téléverser des œuvres contrevenant aux droits des tiers. YouTube a mis en place des dispositifs, notamment un bouton de notification et un procédé spécial d’alerte, afin qu’il soit possible de signaler et faire supprimer des contenus illicites. De manière similaire, Cyando ne crée, ne sélectionne ni ne contrôle les contenus téléversés sur sa plateforme et ses conditions d’utilisation informe les utilisateurs qu’il est interdit de porter atteinte au droit d’auteur par l’intermédiaire de la plateforme.

La CJEU conclue que

« l’article 3, paragraphe 1, de la directive sur le droit d’auteur doit être interprété en ce sens que l’exploitant d’une plateforme de partage de vidéos ou d’une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers, sur laquelle des utilisateurs peuvent mettre illégalement à la disposition du public des contenus protégés, n’effectue pas une « communication au public » de ceux-ci, au sens de cette disposition, à moins qu’il ne contribue, au-delà de la simple mise à disposition de la plateforme, à donner au public accès à de tels contenus en violation du droit d’auteur » (Cyando, point 102).

Est-ce que l’exploitant d’une plateforme de partage de vidéos ou d’une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers exploitant de plates-formes en ligne peut bénéficier de l’exonération de responsabilité prévue par la directive e- commerce pour les contenus protégés que des utilisateurs communiquent illégalement au public par l’intermédiaire de sa plateforme ?

L’article 14.1 de la directive e-commerce permet aux fournisseurs d’hébergement de limiter leur responsabilité s’ils stockent des informations à la demande d’un tiers s’ils n’ont « pas effectivement connaissance de l’activité ou de l’information illicites » ou s’ils ont agi « promptement pour retirer les informations ou rendre l’accès à celles-ci impossible ».

Selon le considérant 42 de la directive e-commerce, cette dérogation de responsabilité ne s’applique que si l’activité du prestataire de services dans le cadre de la société de l’information revêt un caractère purement technique, automatique et passif, ce qui signifie qu’il n’a pas eu connaissance des informations transmises ou ni ne les a contrôlées (Google France et Google, C‑236/08 à C‑238/08, points 112 et 113). Son rôle doit avoir été purement technique, automatique et passif, et il ne doit pas avoir connu ou contrôler les contenus stockés (L’Oréal e.a., C‑324/09, point 113).

La CJEU conclue que l’article 14, paragraphe 1, de la directive sur le commerce électronique doit être interprété en ce sens que l’activité de l’exploitant d’une plateforme de partage de vidéos ou d’une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers relève du champ d’application de cette disposition, s’il ne joue pas un rôle actif de nature à lui conférer une connaissance ou un contrôle des contenus téléversés sur sa plateforme.

Le nouveau régime spécial de responsabilité des plateformes de partage de contenu en ligne

L’ordonnance n°2021-580 du 12 mai 2021, présentée par la ministre de la Culture, transpose le 6 de l’article 2 et les articles 17 à 23 de la directive 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE (Directive MUN).

L’article 15 de la directive MUN avait été transposé en droit français par la loi n° 2019-775 du 24 juillet 2019 tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse.

Les articles 1 à 3 de l’ordonnance n°2021-580 du 12 mai 2021 transposent l’article 17 de la directive MUN, qui instaure un régime spécial de responsabilité des plateformes de partage de contenu en ligne.

Selon l’article 13 de l’ordonnance, ces dispositions sont applicables à compter du 7 juin 2021 « aux œuvres et objets faisant l’objet d’une protection au titre du droit d’auteur ou des droits voisins à la date de publication de la présente ordonnance, y compris ceux téléversés antérieurement à cette date ».

Il s’agit des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne, définis par l’article 2-6 de la directive comme les:  

« fournisseur[s] d’un service de la société de l’information dont l’objectif principal ou l’un des objectifs principaux est de stocker et de donner au public l’accès à une quantité importante d’œuvres protégées par le droit d’auteur ou d’autres objets protégés qui ont été téléversés par ses utilisateurs, qu’il organise et promeut à des fins lucratives » (FSPs).

Le considérant 62 de la directive précise que cette définition ne cible « que les services en ligne qui jouent un rôle important sur le marché des contenus en ligne en étant en concurrence pour les mêmes publics avec d’autres services de contenus en ligne, comme les services de diffusion audio et vidéo en flux continu ». Ces services ont pour objectif principal, ou pour un de leurs objectifs principaux, le stockage et de permettre à leurs utilisateurs:

« de téléverser et de partager une quantité importante de contenus protégés par le droit d’auteur en vue d’en tirer un profit, directement ou indirectement, en organisant et en promouvant ces contenus afin d’attirer un public plus large, y compris en les classant et en faisant une promotion ciblée parmi ceux-ci ».

L’article 17 de la directive sur le marché unique numérique

Selon l’article 17.1 de la Directive, les FSPs communiquent ou mettent à la disposition du public une œuvre protégée par le droit d’auteur s’ils permettent au public d’y accéder après que l’œuvre a été téléversée sur leur plateforme par un de leurs utilisateurs.

L’article 17-3 de la directive exclut de tels actes de communication au public ou mise à disposition du public du régime spécial de responsabilité établi à l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31/CE (directive e-commerce). En revanche, tel qu’il est expliqué par le considérant 65 de la directive MUN, ce régime spécial de responsabilité n’affecte pas l’application de l’article 14, paragraphe 1, de la directive e-commerce aux fournisseurs de services « pour des finalités qui ne relèvent pas du champ d’application de la [directive MUN] ».

Par conséquent, un FSP doit obtenir l’autorisation des titulaires de droits d’auteur avant de mettre à la disposition du public une œuvre protégée, en concluant, notamment, un accord de licence. Si tel est le cas, cette autorisation couvre, selon l’article 17.2, les actes des utilisateurs des services fournis par le FSP si leurs actions ne sont pas à but commercial et « ne génère[nt] pas de revenus significatifs ».

Si le FSP n’obtient pas d’autorisation, il est responsable des actes non autorisés de communication au public, y compris la mise à la disposition du public, d’œuvres protégées par le droit d’auteur. L’article 17-4 de la directive MUN prévoit toutefois un régime spécifique de responsabilité, afin de tenir compte, comme l’explique le considérant 66, « du fait que les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne donnent accès à des contenus qui ne sont pas téléversés par eux-mêmes, mais par leurs utilisateurs ».

Les FSPs doivent démonter avoir fourni leurs « meilleurs efforts pour obtenir une autorisation », article 17-4(a), ainsi que « pour garantir l’indisponibilité d’œuvres (…) [protégées] (…) pour lesquels les titulaires de droits ont fourni aux fournisseurs de services les informations pertinentes et nécessaires », article 17-4(a).

Ils doivent en outre avoir « agi promptement » pour bloquer ou retirer de la plateforme le contenu protégé après avoir été notifié par le titulaire des droits d’une manière « suffisamment motivée » et avoir fourni « leurs meilleurs efforts » afin d’empêcher que l’œuvre soit à nouveau téléversée, article 17-4(c).

Le guide d’interprétation de la Commission de l’article 17

L’article 17-10 de la directive MUN demandait à la Commission européenne d’émettre des orientations sur l’application de l’article 17, et celle-ci a publié le 4 juin dernier un guide d’interprétation de l’article 17, Guidance on Article 17 of Directive 2019/790 on Copyright in the Digital Single Market, COM (2021) 288 final.

Celui -ci spécifie que les conditions spécifiques du régime spécial de responsabilité des FSPs doivent être « explicitement introduites dans le droit national » des États membres. C’est désormais chose faite pour la France.

La transposition de l’ordonnance en droit français

L’Ordonnance ajoute un Chapitre VII « Dispositions applicables à certains fournisseurs de services de partage de contenus en ligne » au titre III du livre Ier du Code de la propriété intellectuelle (CPI).

L’article 1er de l’ordonnance crée l’article L. 137-1 du CPI qui définit le champ d’applications des services concernés par ce nouveau régime de responsabilité. Ce nouvel article définit les fournisseurs d’un service de partage de contenus en ligne comme des personnes fournissant:

« un service de communication au public en ligne dont l’objectif principal ou l’un des objectifs principaux est de stocker et de donner au public accès à une quantité importante d’œuvres ou d’autres objets protégés téléversés par ses utilisateurs, que le fournisseur de service organise et promeut en vue d’en tirer un profit, direct ou indirect ».

Sont toutefois exclus du champ d’application de ce nouveau régime ;

  • les encyclopédies en ligne à but non lucratif,
  •  les répertoires éducatifs et scientifiques à but non lucratif,
  • les plateformes de développement et de partage de logiciels libres,
  • les fournisseurs de services de communications électroniques au sens de la directive (UE) 2018/1972 du 11 décembre 2018 établissant le code des communications électroniques européen,
  • les fournisseurs de places de marché en ligne,
  •  les services en nuage entre entreprises et
  • les services en nuage qui permettent aux utilisateurs de téléverser des contenus pour leur usage strictement personnel.

Afin de déterminer ce que signifie « quantité importante d’œuvres et objets protégés », l’article L. 137-1, alinéa 4, précise qu’il faut « tenir compte notamment du nombre de fichiers de contenus protégés téléversés par les utilisateurs du service, du type d’œuvres téléversées et de l’audience du service ». Les modalités d’application cet alinéa seront définies par décret en Conseil d’État.

L’alinéa 3 de l’article 137-1 précise que les services de communication au public en ligne dont l’objet est de porter atteinte aux droits d’auteurs et aux droits voisins ne bénéficient pas du régime spécial d’exonération de responsabilité des services créé par l’article 17 de la directive, même s’ils ont fourni les « meilleurs efforts » décrits par le nouvel article L.137-2 III du CPI, qui transpose l’article 17-4 de la directive MUN.

L’article L. 137-2 I du CPI transpose l’article 17- 1 de la directive MUN et dispose qu’en donnant accès aux œuvres téléversées par ses utilisateurs un fournisseur de service de partage de contenus en ligne:

« réalise un acte de représentation de ces œuvres pour lequel il doit obtenir l’autorisation des titulaires de droits, sans préjudice des autorisations qu’il doit obtenir au titre du droit de reproduction pour les reproductions desdites œuvres qu’il effectue ».

L’article L. 137-2 II du CPI exclut l’application des dispositions du 2 et du 3 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 aux fournisseurs n’ayant pas obtenu d’autorisation. Ces dispositions de l’article 6-I avaient transposé en droit français le régime de responsabilité de la directive e-commerce.

L’article L. 137-2 III du CPI III transpose l’article 17-4 de la directive MUN et dispose que le FSP qui n’aurait pas obtenu d’autorisation des titulaires de droits peut néanmoins s’exonérer de sa responsabilité en raison des actes d’exploitation non autorisés d’œuvres protégées par le droit d’auteur, s’il démontre qu’il a rempli toutes ces conditions :

« a) Il a fourni ses meilleurs efforts pour obtenir une autorisation auprès des titulaires de droits qui souhaitent accorder cette autorisation ;

b) Il a fourni ses meilleurs efforts, conformément aux exigences élevées du secteur en matière de diligence professionnelle, pour garantir l’indisponibilité d’œuvres spécifiques pour lesquelles les titulaires de droits lui ont fourni, de façon directe ou indirecte via un tiers qu’ils ont désigné, les informations pertinentes et nécessaires ;

c) Il a en tout état de cause agi promptement, dès réception d’une notification suffisamment motivée de la part des titulaires de droits, pour bloquer l’accès aux œuvres faisant l’objet de la notification ou pour les retirer de son service, et a fourni ses meilleurs efforts pour empêcher que ces œuvres soient téléversées dans le futur, en application du b » 

Ce que signifie « meilleurs efforts » sera sans doute débattu dans les prochaines années, en attendant une interprétation de l’article 17 par le Cour de Justice de l’Union Européenne. Il semble néanmoins que les FSPs devront bien filtrer, voire bloquer, les contenus téléversés sur leurs plateformes qui contreviennent aux droits d’auteur et aux droits voisins.

Les fournisseurs de services dont la mise à disposition auprès du public dans l’Union européenne date de moins de trois ans, dont le chiffre d’affaires est inférieur à dix millions d’euros calculés conformément à la recommandation 2003/361/ CE de la Commission européenne du 6 mai 2003 concernant la définition des micro, petites et moyennes entreprises, bénéficient d’un niveau allégé de diligences. Cela permet, notamment, aux start-ups développer leur activité sans avoir, du moins dans un premier temps à mettre en place un système de filtrage et de blocage des contenus.

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La Commission Européenne Propose un Règlement Établissant des Règles Harmonisées pour les Systèmes d’Intelligence Artificielle

La Commission Européenne a publié le 21 avril dernier sa proposition de Règlement du Parlement Européen et du Conseil Établissant des Règles Harmonisées Concernant l’Intelligence Artificielle (le règlement). La Commission avait publié en février 2020 un livre blanc sur ce sujet, Intelligence artificielle –Une approche européenne axée sur l’excellence et la confiance. Le Parlement Européen s’intéresse également aux enjeux de cette nouvelles technologies. Il a publié, par exemple, en octobre dernier, sa Résolution sur les droits de propriété intellectuelle pour le développement des technologies liées à l’intelligence artificielle.

La Commission estime qu’un règlement horizontal est nécessaire afin de prévenir une fragmentation du marché intérieur qui adviendrait si les différents États Membres légiféraient chacun de leur côté, ce qui réduirait la sécurité juridique des opérateurs développant ou utilisant des systèmes d’IA (Considérant 2).

L’article 3(1) du règlement définit un système d’IA comme :

« un logiciel qui est développé au moyen d’une ou plusieurs des techniques et approches (…) et qui peut, pour un ensemble donné d’objectifs définis par l’homme, générer des résultats tels que des contenus, des prédictions, des recommandations ou des décisions influençant les environnements avec lesquels il interagit. »

Les technologies de l’IA évoluent rapidement et sont un facteur de progrès puisqu’elles peuvent fournir de meilleures prédictions, optimiser les processus et l’allocation des ressources. Les maîtriser confèrent ainsi d’importants avantages concurrentiels aux entreprises, dans des domaines aussi variés que la santé, l’agriculture, l’éducation et la formation, la gestion des infrastructures, l’énergie, les transports et la logistique, les services publics, la sécurité, la justice, l’utilisation efficace des ressources et de l’énergie et l’atténuation du changement climatique (Considérant 3).

Une vocation universelle

Le règlement, comme le RGPD, a vocation à s’appliquer de manière universelle et « non discriminatoire aux fournisseurs de systèmes d’IA, qu’ils soient établis dans l’Union ou dans un pays tiers, et aux utilisateurs de systèmes d’IA établis dans l’Union » (Considérant 10).

En outre, un système d’IA relèvera du règlement, même s’il n’est pas mis sur le marché, mis en service, ou utilisé dans l’UE, si, par exemple, un opérateur établi dans l’UE charge un tiers établi en dehors de l’UE d’exécuter certains services en rapport avec une activité à haut risque d’un système d’IA dont les effets pourraient se faire sentir sur des personnes physiques dans l’UE (Considérant 11).

Quatre objectifs principaux

La proposition de règlement a quatre objectifs :

  • La sûreté des systèmes d’IA mis sur le marché de l’UE et leur respect des lois relatives aux droits fondamentaux ainsi que des valeurs de l’UE ;
  • La garantie de la sécurité juridique afin que les investissements et l’innovation dans le domaine de l’IA soient facilités ;
  • Le renfort de la gouvernance et l’application effective de la législation en matière de droits fondamentaux, ainsi que des exigences de sécurité applicables aux systèmes d’IA; et
  • Le développement d’un marché unique pour des applications d’IA légales, sûres et dignes de confiance, et empêcher la fragmentation du marché » (p.3).

Interdiction de certaines pratiques d’IA

Le règlement interdirait certaines pratiques en matière d’IA, détaillées dans son article 5.

Il s’agit, en particulier, de systèmes d’IA ayant recours à des techniques subliminales altérant le comportement d’une personne d’une manière susceptible de causer ou causant un dommage physique ou psychologique à cette personne ou à un tiers, les système d’IA exploitant les vulnérabilités dues à l’âge ou à un handicap physique ou mental afin d’«altérer substantiellement » le comportement d’une personne âgées ou handicapées, les systèmes établissant des classements, pour le compte d’une personne publique de la fiabilité de personnes physiques « en fonction de leur comportement social ou de caractéristiques personnelles ou de personnalité connues ou prédites » afin d’établir une « note sociale » en raison de laquelle une personne serait traitée d’une manière plus ou moins favorable.  

Il existe en effet un réel danger de voir l’IA devenir un moyen technique de discrimination d’une efficacité redoutable pouvant ainsi mettre en danger les droits fondamentaux des individus, en particulier parce que les systèmes d’IA peuvent facilement être utilisés à des fins discriminatoires.

Il est important, à cet égard, de reconnaître que les êtres humains sont biaisés. Il est primordial de fournir à la machine des informations neutres et non discriminatoires. L’IA a le pouvoir d’amplifier les discriminations, mais également de les atténuer, voir de les éliminer… Tout dépend des données qui lui sont fournies, et ceci est un choix humain.

Rappelons que l’article 22 du RGPD exige que les personnes ont le droit « de ne pas faire l’objet d’une décision fondée exclusivement sur un traitement automatisé, y compris le profilage, produisant des effets juridiques l[es] concernant ou l[es]affectant de manière significative de façon similaire. »

IA et droits fondamentaux

L’IA est un facteur de progrès, mais également de risques « ou de conséquences négatives pour les personnes ou la société » (proposition, p. 1).

La Commission note que les technologies de l’IA peuvent être opaques, complexes, et dépendre des données. Leur comportement autonome est également un facteur de risque pour les droits fondamentaux consacrés dans la charte des droits fondamentaux de l’UE (p. 12).

Plusieurs de ces droits fondamentaux peuvent en effet être entravés par l’IA, tels le droit à la dignité humaine , le respect de la vie privée et la protection des données à caractère personnel, la non-discrimination, et l’égalité entre les femmes et les hommes.

Le droit à la liberté d’expression et à la liberté de réunion peuvent également être mis en danger par l’AI, ainsi que le droit à un recours effectif et à l’accès à un tribunal impartial, les droits de la défense et la présomption d’innocence. L’IA peut également un impact sur les droits de l’enfant et sur l’intégration des personnes handicapées.

Systèmes d’IA à haut risque

Un système d’IA est à haut risque si deux conditions sont remplies :

  • Le système d’IA est destiné à être utilisé comme composant de sécurité d’un produit couvert par certains actes législatifs d’harmonisation de l’Union énumérés à l’annexe II du règlement, ou constitue lui-même un tel produit ; et
  • « le produit dont le composant de sécurité est le système d’IA, ou le système d’IA lui-même en tant que produit, est soumis à une évaluation de la conformité par un tiers en vue de la mise sur le marché ou de la mise en service de ce produit »conformément à ces mêmes actes législatifs d’harmonisation de l’UE (article 6).

En ce cas, le système devra être enregistré, un système de gestion des risques devra être établi, mis en œuvre, documenté, et tenu à jour (article 9). En outre, une documentation technique devra être établie avant la mise sur le marché ou la mise en service. Cette documentation devra être tenue à jour (article 11). Il faudra également que des journaux soient automatiquement générés par ces systèmes d’IA à haut risque.

Les systèmes d’IA à haut risque doivent être conçus et développé de telle manière qu’un être humain puisse prendre leur contrôle effectif « au moyen d’interfaces homme-machine appropriées » (article 14). Il s’agit là de l’exigence d’un « “human-in-the-loop”, de l’homme dans le circuit.

Obligations de transparence

Les fournisseurs de système d’IA destinés à interagir avec des personnes physiques devront veiller à ce qu’ils soient « conçus et développés de manière à ce que les personnes physiques soient informées qu’elles interagissent avec un système d’IA » (article 52), sauf si ces systèmes sont utilisés à des fins de détection et de poursuite des infractions pénales.   

Code de conduite

Selon l’article 69 du règlement, la «Commission et les États membres encouragent et facilitent l’élaboration de codes de conduite destinés à favoriser l’application volontaire aux systèmes d’IA autres que les systèmes d’IA à haut risque. » Ces codes de bonne conduite ne seraient ainsi pas obligatoires, simplement « encouragés :

IA et compliance

Les entreprises auront à respecter des charges réglementaires si leur système d’IA est susceptible de présenter des risques élevés pour les droits fondamentaux et la sécurité.

Si tel n’est pas le cas, les entreprises n’auront que des obligations de transparence à respecter, telle, par exemple, l’obligation d’informer les utilisateurs qu’ils interagissent avec un système d’IA. Si une entreprise met en place un système d’IA à haut risque, les nouvelles obligations de compliance liées à l’IA en matière « de données de haute qualité, de documentation, de traçabilité, de transparence, de contrôle humain, d’exactitude et de robustesse se limitent au strict nécessaire pour atténuer les risques pour les droits fondamentaux et la sécurité qui sont associés à l’IA et qui ne sont pas couverts par d’autres cadres juridiques existants » (p.8).

L’article 56 du règlement prévoit la création d’un « Comité européen de l’intelligence artificielle» .

Le règlement ne s’appliquera pas aux systèmes d’intelligence artificielle (IA) développés ou utilisés exclusivement à des fins militaires (article 2.3).

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MarabouTintin ? De L’Exception de Parodie

L’artiste français Xavier Marabout a créé une série de peintures mettant en scène le personnage de bande dessinée Tintin dans l’univers du peintre américain Edward Hopper. Le site personnel de l’artiste explique que celui-ci « utilise le regard voyeuriste et attentiste du peintre américain pour imaginer une vie sentimentale et tumultueuse à Tintin ».

L’artiste a peint d’autres séries de « mashups », des œuvres créées en empruntant et combinant des éléments d’œuvres préexistantes, en particulier une série mêlant les personnages des dessins animés de Tex Avery et les œuvres de Pablo Picasso.

Cette entreprise n’a pas été du goût de la société de droit belge Moulinsart, chargée par la fille d’Hergé, le créateur de Tintin, d’exploiter l’œuvre du dessinateur, décédé en 1983, et dont sa fille est légataire universelle.

La société Moulinsart avait mis l’artiste en demeure en 2015 de retirer de la vente ses œuvres mettant en scène Tintin et l’avait sommé de lui rendre compte du nombre de ces œuvres, de leur prix de vente et de leur période de commercialisation, afin de pouvoir apprécier son préjudice. L’artiste n’avait pas donné suite, citant l’exception de parodie.

La société Moulinsart assigna alors l’artiste en 2017, au motif que ses œuvres mettant en scène Tintin contrevenaient au droit d’auteur patrimonial dont la société Moulinsart est titulaire et qu’elles portaient en outre atteinte au droit moral exercé par la fille d’Hergé, qui demandait à ce titre une somme symbolique d’un euro.

La société Moulinsart sollicita l’interdiction de reproduction, de représentation, d’adaptation et d’exploitation des personnages créés par Hergé, sous astreinte de 1.000 euros par infraction, et demanda en outre la destruction des toutes les œuvres sous astreinte.

Le caractère de Tintin est protégé par le droit d’auteur

Le tribunal judiciaire de Rennes souligna dans son jugement du 10 mai dernier (TJ Rennes, 10 mai 2021, n° 17/04478), que « les personnages illustrant les bandes-dessinées peuvent être regardés en eux-mêmes comme des œuvres protégées distinctes de l’œuvre originelle ».

Le défendeur a bien repris des éléments du personnage de Tintin, tel « le personnage de Tintin lutin, garçon roux au visage ovale, avec une houppette et porteur d’un pantalon de golfe »,  qui sont reproduits dans les mashups, mais les personnages « sont clairement attribués à l’œuvre d’Hergé » par le défendeur « et par tout public nécessairement baigné dans cet univers créé par Hergé ». Le tribunal rappela que Tintin est connu dans le monde entier, que les albums d’Hergé ont été vendus à 230 millions d’exemplaires, citant le magazine L’Express selon lequel Tintin est « aussi connu que Jésus Christ et les Beatles réunis». Le tribunal conclut que les personnages créés par Hergé sont originaux et protégés par le droit d’auteur.

Le caractère de Tintin créé par le défendeur est également protégé par le droit d’auteur

Bien qu’il soit suffisamment établi, selon le tribunal judiciaire, que le personnage créé par le défendeur est inspiré de l’œuvre d’Hergé, le défendeur a usé « de son propre génie créatif » pour faire de Tintin un homme adulte, distinct du Tintin créé par Hergé, et qui constitue « un personnage original en ce qu’il est rattaché à son auteur dont l’œuvre est caractérisée par la ligne claire ».

L’exception de parodie

Le défendeur ne contestait pas, du reste, s’être inspiré et avoir reproduit le personnage sans autorisation de la société Moulinsart, mais invoqua l’exception de parodie en défense.

L’article 5.3k de la Directive 2001/29 du 22 mai 2001 (Directive « Société de l’information ») donne aux États membres la faculté de prévoir des exceptions au droits d’auteur, dont la parodie. En France, l’article L.122-5, 4° du Code de la propriété intellectuelle dispose que l’auteur d’une œuvre ne peut interdire la parodie, le pastiche et la caricature, « compte tenu des lois du genre ».

Le tribunal judiciaire rappela que l’exception de parodie garantit la liberté d’expression des artistes, et que ce principe a valeur constitutionnelle. Le juge doit vérifier qu’il existe un juste équilibre entre la liberté d’expression de l’artiste et les droits de l’auteur dont les œuvres originales ont inspiré le parodiste.

La parodie doit permettre l’identification immédiate de l’œuvre parodiée

La Cour de Justice de l’Union Européenne avait défini, dans son arrêt Deckmyn c. Vandersteen, C-201/13, la parodie comme ayant :

« … pour caractéristiques essentielles, d’une part, d’évoquer une œuvre existante, tout en présentant des différences perceptibles par rapport à celle-ci, et, d’autre part, de constituer une manifestation d’humour ou une raillerie ».

Le pastiche se distingue de la caricature, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, en ce qu’« il est dans les lois du genre de [la caricature], qui se distingue en cela du pastiche, de permettre l’identification immédiate de l’œuvre parodiée » (Cass. Civ 1ère, 12 janvier 1988, 85-18.787).

La parodie doit permettre l’identification immédiate de l’œuvre parodiée. Selon le tribunal judiciaire, tel est « manifestement le cas en l’espèce en ce que les personnages se rattachant aux albums d’Hergé et reproduits dans les travaux [du défendeur] s’identifient sans peine ».

Le tribunal judiciaire nota que le défendeur signe ses œuvres, « de sorte que l’observateur même très moyennement attentif ne peut se méprendre lorsqu’il regarde un travail [du défendeur] sur l’auteur de la peinture ou de la reproduction de cette peinture ». Selon le tribunal, le premier regard du spectateur porte sur un ensemble évoquant l’œuvre d’Hopper, où apparait Tintin, ce qui établit « une distanciation suffisante » avec l’œuvre D’Hergé, qui « ne peut être considérée comme dominante ».

Le tribunal judiciaire souligne en outre que le support de l’œuvre parodique, un tableau acrylique, est différent de la bande dessinée. La composition des œuvres parodiques évoque certes l’œuvre d’Hergé, mais également celle d’Edward Hopper, qui est « assez différente de celle d’Hergé ».

En effet, le défendeur présente Tintin dans des situations où il n’avait pas été placé par Hergé : situations érotiques ou du moins amoureuses, assis hébété au bord d’une voie ferrée, le front ensanglanté, sans que ces représentations dénigrent ou avilissent l’œuvre d’Hergé, puisqu’elles n’ont pas de caractère pornographique. Les personnages ainsi pastichés « se trouvent dans des situations qui leurs sont habituellement inconnues et où ils apparaissent visiblement déplacés ».

Parodie et humour

La parodie a également un élément moral, l’humour ou la raillerie, et il faut pour cette exception soit établie que l’auteur de la parodie ait eu une intention humoristique.

Le tribunal judiciaire cite plusieurs articles de presse qui avait noté le caractère humoristique des œuvres parodique et

« cette intention humoristique est également ressentie par le tribunal qui constate que l’œuvre austère d’Hergé [est] réinterprétée dans un sens plus animé, plus vivant par l’inclusion de personnages (et de véhicules) notamment issus de l’œuvre d’Edward Hopper qui viennent y vivre une relation sans doute teintée d’affection et d’attirance sexuelle ».

Le tribunal note en outre que « l’incongruité de la situation au regard de la sobriété sinon la tristesse habituelle des œuvres d’Hervé » est humoristique, ainsi que l’inclusion de personnages féminins, alors que l’univers de Tintin n’en comporte que très peu, et toutes peu séduisantes, de la Castafiore à sa femme de chambre Irma.

Edward Hopper et non Hergé comme source d’inspiration

Le tribunal nota également que les titres des œuvres parodiques évoquent les tableaux d’Edward Hopper dont ils s’inspirent, tel Rupture à Cap Cop, qui évoque Cape Cod Evening, où Milou remplace le Border Collie, Tintin l’homme assis au seuil de sa maison typique de la Nouvelle Angleterre, et une jeune femme en tailleur bleu cintré remplace la femme entre deux âges qu’avait peint Hopper.

Le tribunal estima ainsi qu’il n’y avait aucun risque de confusion, et que la « première source d’inspiration [du défendeur] est celle du peintre américain. »

Il conclut que « l’inspiration artistique tient toujours compte des œuvres précédentes, avec parfois des imitations, des reproductions, lesquelles ne peuvent être interdites par principe, au cas d’espèce les citations sont claires, le risque de confusion est nul, l’exception de parodie est parfaitement recevable et fondée » et débouta les demandeurs de leurs demandes.

Dans une affaire similaire, à propos de courts romans formant la collection des « aventures de Saint-Tin et de son ami Lou », la Cour d’Appel de Paris avait confirmé en février 2011 une décision du TGI de Paris qui avait a accueilli l’exception de parodie et rejeté l’action en contrefaçon formée par la société Moulinsart et la fille d’Hergé (CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 18 février 2011).

La trame des romans était similaire à celle des albums de Tintin, mais uniquement en ce que Saint-Tin combattait le crime aux quatre coins du monde en compagnie de ses amis. Leurs prologues, épilogues et intrigues différaient des albums de Tintin et ainsi, « tout en se nourrissant de l’œuvre d’Hergé, [ces romans] sav[aient] s’en distancier suffisamment pour éviter tout risque de confusion, ne serait-ce que par la forme romanesque adoptée et les intrigues originales qu’ils décrivent ».

Les romans étaient parodiques puisque leurs titres (Le Crado pince fort, Le vol des 714 porcineys…) et ainsi  « le propos parodique [était] d’emblée perçu à la lecture du titre et à la vue des couverture, tous deux renseignant immédiatement sur la volonté des auteurs de travestir et de détourner les images avec le dessein de faire rire », d’autant plus que les romans recouraient à de nombreux calembours et jeux de mots.

Voir également ce billet écrit sur ce blog en 2013 sur un autre cas encore d’une parodie de Tintin.

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Facebook propose des engagements dans le cadre d’une instruction ouverte devant l’Autorité de la Concurrence.

On le sait, Facebook est avant tout un fournisseur de services publicitaires. Les annonceurs peuvent choisir de promouvoir des biens ou services sur Facebook, Instagram, ou bien grâce à la messagerie Messenger.

Facebook a d’ailleurs annoncé il y a quelques jours, lors du « hackaton » annuel F8, que l’API (Applications Programming Interface) d’Instagram était désormais à la disposition des développeurs, ce qui permettra aux entreprises de créer leurs propres moyens de communiquer directement par message avec les utilisateurs d’Instagram, sans devoir passer par la plateforme. Une API est une interface de programmation permettant à deux logiciels d’interagir entre eux et d’échanger des données.

En Septembre 2019, Criteo avait saisi l’Autorité de la Concurrence d’une plainte contre Facebook, alléguant que « l’exclusion progressive d’entreprises de la plateforme Facebook [avait] nui à la diversité du secteur de la publicité en ligne. »

Facebook avait retiré à Criteo son statut de FMP (Facebook Marketing Partner) en juillet 2018. Les FMPs « sont des entreprises reconnues pour leur expertise, titulaires d’un badge et agréées par Facebook. » En outre, Criteo s’était plaint de s’être vu retirer par Facebook l’accès à l’ API User Level Bidding (API ULB), utilisée pour les enchères et à l’API Order Level Reporting (API OLR), utilisée pour recommander des produits dans les publicités et mesurer les performances des campagnes publicitaires.

Lors de l’instruction de la plainte, l’Autorité de la Concurrence a pu constater qu’il existait « un certain nombre de difficultés dans les relations entre Facebook et les FMP qui concernent tant la définition que l’application des engagements d’investissements », en raison notamment d’« un manque de transparence, de stabilité, d’objectivité et à l’existence de différences de traitements entre opérateurs ».

En outre, l’Autorité de la Concurrence a relevé que les conditions de retrait des APIs, en particulier en ce qui concerne l’API ULB, limitent les capacités des FMPs à fournir des services à valeur ajoutée en utilisant leurs propres technologies publicitaires. Dans le cas de Critéo, ne plus pouvoir utiliser l’API ULB réduit ses possibilités d’optimiser ses campagnes publicitaires en utilisant ses propres technologies de recommandation de produits lors d’enchères individuelles.

Facebook a publié le 1er juin dernier ses propositions d’engagements, et s’est engagé à :

  • « préserver l’objectivité, la clarté et l’application non-discriminatoire des Critères de Performance FMP AdTech » ;
  • « fournir régulièrement une formation de conformité aux équipes commerciales concernées portant sur la communication commerciale aux annonceurs publicitaires relative à la performance des Partenaires FMP AdTech » ; et
  • « développer et à donner accès à une Fonctionnalité de Recommandation aux Partenaires FMP AdTech qui disposent du Badge FMP AdTech, dans un délai de trois  mois  à compter de la réception d’une candidature complète adressée sur le PartnerCenter. »

L’Autorité de la Concurrence soumet ces propositions d’engagements à un test de marché afin de « déterminer s’ils répondent de façon appropriée aux préoccupations de concurrence qui ont été distinguées sur le fondement de l’article L. 464-2 du code de commerce »

Cet article, récemment modifié par l’Ordonnance n°2021-649 du 26 mai 2021, permet désormais à l’Autorité de la Concurrence, non seulement d’ordonner aux parties intéressées de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un délai déterminé, mais également de leur imposer « toute mesure corrective de nature structurelle ou comportementale proportionnée à l’infraction commise et nécessaire pour faire cesser effectivement l’infraction ».

En outre, l’article L. 464-2 précise désormais que les engagements que peut accepter l’Autorité de la Concurrence à ces fins peuvent être « d’une durée déterminée ou indéterminée ».

Les tiers intéressés (annonceurs, opérateurs de la publicité en ligne) peuvent soumettre leurs observations sur les propositions de Facebook au plus tard le 5 juillet 2021 à 17 heures.

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Est-ce que le Dropshipping est Légal ? Quelques Éléments de Réponse…

La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a lancé le 5 mai dernier une campagne de sensibilisation des consommateurs et des professionnels « sur les arnaques de plus en plus nombreuses relevées dans le secteur du dropshipping ».

Le Ministre de l’Économie, des Finances et de la Relance, Bruno Le Maire incita par un tweet les consommateurs à signaler sur le site Signal Conso du gouvernement « toutes les arnaques au #dropshipping » dont ils ont été victimes.

Qu’est que le dropshipping ?

La pratique du dropshipping s’est développée ses dernières années. Il est facile de créer automatiquement, en quelques minutes, grâce à des sites dédiés, un site e-commerce vendant des produits en utilisant le système de vente du dropshipping. Cet engouement permet en outre de vendre des formations en ligne au dropshipping, qui peuvent se révéler plus rentables que la vente des produits…  

Le dropshipping est une méthode de vente à distance où le commerçant en ligne ne possède pas de stocks. Le consommateur passe une commande sur le site web d’un e-commerçant, celui-ci encaisse le montant de la commande, puis la transmet au fournisseur, qui se charge de livrer le produit. Le vendeur ne se charge que du site et de sa promotion.

Le dropshipping est légal, mais…

Si la pratique du dropshipping n’est pas en soi illégale, les pratiques commerciales de l’e-commerçant ne doivent pas être déloyales, trompeuses ou agressives.

Une pratique commerciale est déloyale si elle susceptible d’amener le consommateur à décider d’acheter un produit ou un service alors qu’il n’aurait pas pris cette décision autrement.

Selon l’article L.121-2 du Code de la consommation, une pratique commerciale est trompeuse si elle « crée une confusion avec un autre bien ou service, une marque, un nom commercial ou un autre signe distinctif d’un concurrent ». Ainsi, le nom de domaine d’un site de dropshipping, comme pour tout autre site, ne doit pas créer de confusion dans l’esprit des consommateurs. Cela serait le cas si le nom de domaine incorpore la marque d’un tiers ou y ressemble au point de créer une confusion dans l’esprit des internautes.

Le site de dropshipping doit contenir certaines informations, sans lesquelles l’invitation du consommateur à l’achat que constitue un site e-commerce serait considéré comme trompeuse.

Ces informations sont, entre autres, les caractéristiques principales du bien ou du service, l’adresse et l’identité du professionnel, les prix TTC, les frais de livraison à la charge du consommateur, ou du moins leur mode de calcul, s’ils ne peuvent être établis à l’avance, de quelle manière le consommateur peut régler ses achats et effectuer une réclamation, et s’il bénéficie d’un droit de rétractation.

Droit de rétractation et dropshipping

Ce droit de rétractation doit pouvoir être exercé sans frais supplémentaires par le consommateur dans les quatorze jours suivant la conclusion du contrat à distance, sans que le consommateur ait à motiver sa décision.

Or, dans le cas d’un site de dropshipping, les stocks sont gérés par le fournisseur et non par le vendeur, qui n’y a pas accès. Les fournisseurs sont souvent à l’étranger, ce qui peut considérablement allonger les délais de livraison.

Que se passe-t-il si le consommateur exerce son droit de rétractation, mais que le distributeur a déjà envoyé la commande ? Le consommateur doit se référer aux Conditions Générales de Vente (CGV) du site, qui doivent indiquer si les marchandises peuvent être retournées au vendeur, ou bien si elles doivent être retournées au distributeur.

Le contrat entre le vendeur et le distributeur doit prévoir les modalités d’un tel retour. Est-ce que le vendeur supporte les coûts des retours de marchandises ? Est-ce que le distributeur accepte les retours ?

Dropshipping et publicité mensongère

Comme tout autre site de vente en ligne, le site de dropshipping doit indiquer les caractéristiques principales du bien vendus.

Selon l’article L.212-1 du Code de la consommation, une pratique commerciale est trompeuse si elle «  repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur portant, en particulier, sur les

« caractéristiques essentielles du bien {…] à savoir : ses qualités substantielles, sa composition, ses accessoires, son origine, sa quantité, son mode et sa date de fabrication, les conditions de son utilisation et son aptitude à l’usage, ses propriétés et les résultats attendus de son utilisation, ainsi que les résultats et les principales caractéristiques des tests et contrôles effectués sur le bien ou le service ».

Mais le e-commerçant pratiquant le dropshipping n’a pas vu les produits qu’il met en vente et doit compter sur la description du produit qui lui est donnée par son fournisseur. Or, les produits vendus par dropshipping sont parfois de qualité inférieure et la description du fournisseur ne correspond pas à la réalité, ce dont se rendra compte l’acheteur à la réception de sa commande.

Si le fournisseur envoie au consommateur un produit dont les caractéristiques essentielles ne correspondent pas à la description faite sur le site, il s’agit d’une pratique commerciale trompeuse, qui est un délit puni d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 300 000 euros.

Dropshipping et influenceurs

Les sites de dropshipping utilisent souvent les influenceurs pour promouvoir les produits vendus et offrir des promotions à leurs « followers ».

La vidéo accompagnant le tweet de Bruno Lemaire évoque le rôle des influenceurs dans la promotion du dropshipping :

« Nous estimons que les influenceurs ont une responsabilité particulière parce que c’est eux qui vont recommander un produit, c’est eux qui vont orienter l’acte d’achat et la consommation vers tel ou tel produit ».

Bruno Le Maire appela les influenceurs, « qui ont un impact considérable sur la décision d’achat des jeunes », à prendre leurs responsabilités, à faire attention à ce qu’ils recommandent, à leurs « promos flash », qui doivent « correspondre à la réalité du produit ».