Juge des Référés Ordonne le Retrait des ‘Sarkoleaks’ du Site Atlantico

Le juge des référés du Tribunal de Grande Instance de Paris a ordonné le 14 mars 2014 le retrait des enregistrements publiés sur le site Atlantico.

En février dernier, l’hebdomadaire Le Point avait fait état de l’existence d’enregistrements clandestins de propos tenus en février 2011 par Nicolas Sarkozy, effectués par son ancien conseiller Patrick Buisson. Ce dernier avait alors nié leur existence. Le 5 mars, Atlantico publia des extraits d’un tel enregistrement. Le 7 mars, Nicolas Sarkozy assigna en référé Patrick Buisson, la SAS Talmont Média, éditeur d’Atlantico et Jean-Sébastien Ferjou, son directeur de publication.

Atteinte à la vie privée

Nicolas Sarkozy avait invoqué l’article 226-1 du Code pénal, qui punit d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait d’enregistrer à l’aide d’un procédé quelconque des paroles privées ou confidentielles sans le consentement de leur auteur, en ayant la volonté de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui.

L’ancien Président avait également invoqué l’article  226-2 du Code pénal, qui punit des mêmes peines que l’article 226-1 « le fait de conserver, porter ou laisser porter à la connaissance du public ou d’un tiers ou d’utiliser de quelque manière que ce soit tout enregistrement ou document obtenu à l’aide de l’un des actes prévus par l’article 226-1. »

Lorsque ce délit est commis par la voie de presse écrite ou audiovisuelle, les dispositions particulières du droit de la presse s’appliquent pour déterminer les personnes responsables. C’est pourquoi l’éditeur et le directeur de publication d’Atlantico étaient défendeurs.

Patrick Buisson avait contesté le caractère volontaire de ces enregistrements, argumentant que son dictaphone s’était déclenché de manière automatique. En outre, il soutenait que les propos enregistrés étaient strictement professionnels. Talmont Media et Jean-Sébastien Ferjou argumentaient que l’article 226-1 était inapplicable en l’espèce car les propos incriminés ne portaient pas atteinte à la vie privée de Nicolas Sarkozy.

Ces arguments ne convainquirent pas le juge des référés, qui souligna que le dictaphone était dissimulé à la vue de tous. En outre, il n’était pas nécessaire selon lui de considérer si les enregistrements effectués par Patrick Buisson étaient ou non attentatoires à l’intimité de la vie privée puisque les paroles enregistrées avaient été prononcées à titre privé ou confidentiel.

Le délicat équilibre entre la protection de la vie privée et la liberté d’expression

Nicolas Sarkozy avait invoqué l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme protégeant la vie privée, mais Talmont Media et Jean-Sébastien Ferjou argumentèrent que retirer les enregistrements du site serait contraire à l’article 10 de la même Convention qui protège la liberté d’expression. Ils argumentaient également que l’information publiée relevait d’une question d’intérêt général.

Le juge des référés ne fut pas convaincu que les enregistrements soient d’un tel intérêt que leur publication pourrait se justifier car, selon lui, Patrick Buisson ne contestait plus à la date de leur publication l’existence des ces enregistrements.

Mais l’intérêt général n’était pas de prouver ou non l’existence de ces enregistrements, mais bien d’informer le public de la manière dont le gouvernement menait alors les affaires de l’État. Le juge des référés a pourtant fait pencher la balance en faveur de la protection de la vie privée, en soulignant que la protection de la vie privée par l’article 8 «peut justifier une restriction de la liberté d’expression en application de l’article 10 §2 de la Convention. »

Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, la liberté d’expression est l’un des fondements essentiels d’une société démocratique. Elle est certes assortie d’exceptions, mais celles-ci doivent être interprétées d’une manière étroite, et cette restriction doit se trouver établie de manière convaincante. La presse « ne doit pas franchir les bornes fixées en vue, notamment, de préserver la « sécurité nationale » ou de « garantir l’autorité du pouvoir judiciaire », [mais] il lui incombe néanmoins de communiquer des informations et des idées sur des questions d’intérêt public. (…) S’il en était autrement, la presse ne pourrait jouer son rôle indispensable de « chien de garde » » (CEDH 26 nov. 1991, Observer et Guardian c. Royaume-Uni, § 59)

L’article 10-2 de la Convention européenne des droits de l’homme permet certes que la  liberté d’expression soit soumise «  à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. »

Mais selon la Cour européenne des droits de l’homme l’adjectif « nécessaire« , au sens de l’article 10-2 de la Convention, implique un « besoin social impérieux« . Les États contractants disposent d’une marge d’appréciation pour juger de l’existence d’un tel besoin, mais la Cour européenne a le droit de  contrôler à la fois la loi nationale et les décisions qui l’appliquent, même si elles émanent d’une juridiction indépendante, et la Cour européenne est compétente en dernier lieu pour décider si une restriction est bien compatible  avec la liberté d’expression protégée par l’article 10.

Y-a-t-il un « besoin social impérieux »à retirer les enregistrements du site, alors même que certains des propos tenus portent sur la chose publique ? Atlantico a depuis retiré les enregistrements de son site, ainsi que leur retranscription, et a indiqué qu’il a relevé appel du jugement.