AG Saugmandsgaard Øe délimite l’obligation de filtrage de l’article 17

M. l’avocat Général Henrik Saugmandsgaard Øe (AG Saugmandsgaard Øe) a présenté le 15 juillet dernier ses conclusions dans l’affaire C‑401/19, République de Pologne contre Parlement européen, Conseil de l’Union européenne.

Cette affaire est d’un grand intérêt parce que la Pologne demande à la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) d’annuler l’article 17, paragraphe 4, sous b) et sous c), in fine, de la directive 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et, à titre subsidiaire, d’annuler cet article 17 dans son intégralité.

Ces conclusions ne sont pas, selon leurs auteur, remises en cause par l’arrêt YouTube et Cyando (voir billet de blog précédent).

L’article 17, paragraph4 b) et c) de la directive 2019/790 dispose que :

« les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne sont responsables des actes non autorisés de communication au public, y compris la mise à la disposition du public, d’œuvres protégées par le droit d’auteur et d’autres objets protégés, à moins qu’ils ne démontrent qu’[ils] (b)(…) ont fourni leurs meilleurs efforts, conformément aux normes élevées du secteur en matière de diligence professionnelle, pour garantir l’indisponibilité d’œuvres et autres objets protégés spécifiques pour lesquels les titulaires de droits ont fourni aux fournisseurs de services les informations pertinentes et nécessaires; et en tout état de cause (…) (c)ils ont agi promptement, dès réception d’une notification suffisamment motivée de la part des titulaires de droits, pour bloquer l’accès aux œuvres et autres objets protégés faisant l’objet de la notification ou pour les retirer de leurs sites internet, et ont fourni leurs meilleurs efforts pour empêcher qu’ils soient téléversés dans le futur, conformément au point b). »

Les fournisseurs de services de partages de contenus en ligne

L’article 2, point 6, premier alinéa, de la directive définit les fournisseurs de services de partages de contenus en ligne comme des :

« fournisseur[s] d’un service de la société de l’information dont l’objectif principal ou l’un des objectifs principaux est de stocker et de donner au public l’accès à une quantité importante d’œuvres protégées par le droit d’auteur ou d’autres objets protégés qui ont été téléversés par ses utilisateurs, qu’il[s] organise[nt] et promeu[vent] à des fins lucratives ».

AG Saugmandsgaard Øe note que bien que les termes de cette définition soient ouverts, « il en ressort clairement que cet article 17 concerne les « grands » prestataires de services de partage, réputés liés au « Value Gap » , et dont cette définition vise, à l’évidence, à refléter le fonctionnement » et souligne (note 33) que le considérant 62 de la directive 2019/790 précise que la notion de « fournisseurs de services de partage de contenus en ligne » vise les services qui « jouent un rôle important sur le marché des contenus en ligne en étant en concurrence pour les mêmes publics avec d’autres services de contenus en ligne, comme les services de diffusion audio et vidéo en flux continu ».

Filtrage et blocage

L’article 17 de la directive 2019/790 prévoit un nouveau régime de responsabilité applicable aux prestataires de services de partage en ligne. Ceux-ci doivent surveiller les contenus que leurs utilisateurs mettent en ligne, afin de prévenir le téléversement sans autorisation des titulaires de droits d’œuvres et d’objets protégés.

En pratique, ces prestataires doivent filtrer les contenus téléversés par le biais de programmes informatiques ad hoc, bien que, comme le rappelle AG Saugmandsgaard Øe dans le point 60, l’article 17 n’impose pas de manière formelle l’adoption de mesures ou de techniques spécifiques. Le considérant 68 de la directive 2019/790 indique simplement que les fournisseurs de services de partage sont « susceptibles d’entreprendre diverses actions ». En outre, le considérant 66, deuxième alinéa, de la directive indique qu’il faut tenir compte, pour « déterminer si un fournisseur de services de partage de contenus en ligne a fourni ses meilleurs efforts … [desmeilleures pratiques du secteur … [et de] « l’état de l’art».

L’article 14 de la directive 2000/31 sur le droit d’auteur exonère les prestataires de service de toute responsabilité pour avoir stocké une information illicite à la demande d’un de leurs utilisateurs s’ils n’avaient pas connaissance de cette information ou bien si, le cas échéant, ils ont promptement l’information ou en ont bloqué l’accès. L’article 14 n’exige pas que le prestataire surveille les informations téléversées sur ses serveurs ni ne recherche activement les informations illicites qui pourraient s’y trouver.

La Pologne souligne que l’article 17 de la directive 2019/790 donne désormais aux fournisseurs de services de partage la responsabilité de surveiller, d’une manière préventive, les informations téléversées par leurs utilisateurs et non plus simplement de réagir promptement une fois informés de l’existence d’une information illicite.

Filtrage, blocage, et droits de l’homme

Selon la Pologne, cette pratique peut mettre en danger la liberté d’expression des utilisateurs des services de partage, garantie à l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (la « Charte »). Ce droit est également protégé par l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CEDH ).

L’article 52, paragraphe 3, de la Charte dispose que ces deux droits ont le même sens ou, du moins la même portée et ainsi l’article 11 de la Charte doit être interprété à la lumière de l’article 10 de la CEDH et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CtEDH) y afférente.

Selon la Pologne, les  mesures de filtrage nécessaires au respect de l’article 17 sont des «mesures préventives » de contrôle des informations des utilisateurs et entraîneraient des «restrictions préalables», au sens de la jurisprudence de la CtEDH relative à l’article 10 de la CEDH, et pourraient même entrainer une « censure générale automatisée de nature préventive » des fournisseurs, ce qui constitueraient une « ingérence » dans la liberté d’expression et d’information de leurs utilisateurs.

La Pologne demande à la CJEU, dans le prolongement de ses arrêts Scarlet Extended, Sabam, et Glawischnig-Piesczek, de déterminer si le filtrage est compatible avec la liberté d’expression, et, si elle l’est, dans quelles conditions.

AG Saugmandsgaard Øe estime que les dispositions attaquées constituent effectivement une « ingérence » dans la liberté d’expression des utilisateurs des services de partage » et dans la liberté du public de recevoir des informations (point 78 et 80). Cette « ingérence » dans la liberté d’expression des utilisateurs est imputable au législateur de l’Union (point 84). Il souligne que pour être exonéré de leur responsabilité, filtrer et bloquer les bloquer illicites n’est pas une simple possibilité pour les fournisseurs, « mais une nécessité, sauf à supporter un risque démesuré de responsabilité » (point 86). Est- que cette limitation est compatible avec la Charte ?

AG Saugmandsgaard Øe rappelle que la liberté d’expression n’est pas absolue et peut être limitée par les lois, si elles respectent le « contenu essentiel » de cette liberté, et le principe de proportionnalité (point 89). Il en est de même pour l’article 10 de la CEDH, qui admet les ingérences dans la liberté d’expression si elle est « prévue par la loi », poursuit un ou plusieurs buts légitimes et si elle est « nécessaire dans une société démocratique ».

La limitation est « prévue par la loi »

En l’espèce, la limitation a manifestement une base légale, l’article 17 de la directive 2019/790, dont ces dispositions satisfont à l’exigence de « prévisibilité ». Selon AG Saugmandsgaard Øe, ces dispositions sont suffisamment claires et précises, même si la définition du « fournisseur de services de partage de contenus en ligne » de l’article 2, point 6, « contiennent plusieurs notions ouvertes », telles la « quantité importante d’œuvres protégées par le droit d’auteur ou d’autres objets protégés » les « meilleurs efforts » ou bien les « normes élevées du secteur en matière de diligence professionnelle ».

La limitation en cause respecte le « contenu essentiel » du droit à la liberté d’expression

Selon l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, toute limitation de l’exercice des droits et libertés doit « respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés » et ainsi une mesure portant atteinte à ce « contenu essentiel » serait contraire à la Charte.

AG Saugmandsgaard Øe n’est pas de l’avis que l’article 17 porte atteinte au « contenu essentiel » du droit à la liberté d’expression. Il note que les grandes plateformes et les réseaux sociaux, en particulier, offrent à leurs utilisateurs un moyen d’exprimer leurs opinions « en principe, sans ingérence d’autorités publiques » (point 103). Le « contenu essentiel » du droit à la liberté d’expression serait en revanche touché, selon AG Saugmandsgaard Øe, si les autorités publiques imposaient aux prestataires, directement, ou indirectement, de surveiller préventivement leurs utilisateurs (point 104).

L’article 15 de la directive 2000/31 est « d’une importance fondamentale » parce qu’il prévoit que les prestataires intermédiaires ne peuvent être obligés de surveiller, d’une manière générale, les informations qu’ils transmettent ou stockent », ce qui est nécessaire pour « qu’Internet reste un espace libre et ouvert » (point 105).

Cette interdiction d’une surveillance généralisée est ainsi un « principe général du droit régissant l’internet, en ce qu’il concrétise, dans l’environnement numérique, la liberté fondamentale de communication » (point 106).

Obligation de surveillance générale ou spécifique ?

Selon AG Saugmandsgaard Øe, l’interdiction prévue à cet article 15 est « un principe général du droit régissant l’internet, en ce qu’il concrétise, dans l’environnement numérique, la liberté fondamentale de communication ». Il rappelle cependant que la CtEDH, dans son arrêt Delfi AS. c. Estonie, avait admis que certains intermédiaires puissent activement surveiller leurs services afin de rechercher certains types d’informations illicites. Le considérant 47 de la directive 2000/31 dispose d’ailleurs que l’interdiction faite aux États membres d’imposer aux prestataires de services une obligation de surveillance « ne concerne pas les obligations de surveillance applicables à un cas spécifique […] »).

L’obligation de surveillance imposée aux fournisseurs de services de partage en application des dispositions attaquées n’est pas générale selon AG Saugmandsgaard Øe, mais spécifique » Il reconnait tout de même que la jurisprudence de la CJUE «  a connu une évolution récente quant au critère distinguant le « général » du « spécifique » » (point 110), une évolution jurisprudentielle qu’il estime « justifiée »(point 113).

En effet, dans son arrêt L’Oréal, la CJUE avait jugé que l’exploitant d’une place de marché en ligne ne peut être obligé de procéder à « une surveillance active de l’ensemble des données de chacun de ses clients afin de prévenir toute atteinte future à des droits de propriété intellectuelle ».  

Puis, dans son arrêt Scarlet Extended, la Cour avait jugé qu’un fournisseur d’accès Internet ne peut être enjoint à mettre en place un système de filtrage s’appliquant à « toutes les communications électroniques transitant par ses services » et donc « indistinctement à l’égard de toute sa clientèle », et ce afin « d’identifier sur le réseau de ce fournisseur la circulation de fichiers électroniques contenant une œuvre musicale, cinématographique ou audiovisuelle sur laquelle le demandeur prétend détenir des droits de propriété intellectuelle, en vue de bloquer le transfert de fichiers dont l’échange porte atteinte au droit d’auteur ». Il en est de même, depuis l’arrêt Sabam , en ce qui concerne les exploitants d’une plateforme de réseau social.

La CJEU, dans son arrêt Glawischnig-Piesczek , a néanmoins jugé légale la surveillance d’un exploitant d’un réseau social de l’ensemble des informations mises en ligne sur son réseau si elle est « spécifique », tel, en l’espèce, la recherche d’une information diffamante « précise » afin de la bloquer, alors que le prestataire n’était pas obligé de procéder à une « appréciation autonome » de la licéité des informations filtrées, mais qu’il pouvait « recourir à des techniques et à des moyens de recherche automatisés » .

Les fournisseurs de services de partage doivent surveiller l’ensemble des contenus mis en ligne par leurs utilisateurs mettent en ligne, mais ils ne doivent rechercher que les « œuvres ou autres objets protégés spécifiques […] pour lesquels les titulaires de droits [leur] ont fourni […] les informations pertinentes et nécessaires » (article 17 paragraphe 4, sous b), de la directive 2019/790).

Ainsi, le législateur de l’Union peut, sans porter atteinte au « contenu essentiel » de la liberté d’expression, imposer « certaines mesures de surveillance active, concernant certaines informations illicites spécifiques, à certains intermédiaires en ligne » (point 115).

La limitation en cause est nécessaire

Afin de respecter le principe de proportionnalité, cette limitation doit être à la fois « nécessaire » et « répondre effectivement à un objectif d’intérêt général reconnu par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui ». Seul le caractère nécessaire de la limitation est débattu en l’espèce, puisque la protection la propriété intellectuelle est protégée en tant que droit fondamental, par l’article 17, paragraphe 2, de la Charte et à l’article 1er du protocole nº 1 à la CEDH .

Selon AG Saugmandsgaard Øe, la limitation est « appropriée » en ce qu’elle incite les fournisseurs à conclure des accords de licence avec les titulaires de droits. Elle est « proportionnée » puisque sesinconvénients ne sont pas démesurés par rapport aux buts visés, la protection de la propriété intellectuelle, en particulier dans un environnement numérique, alors que les titulaires de droit souffrent d’un préjudice économique suite au partage de leurs œuvres en ligne sans autorisation

Tenir les prestataires intermédiaires pour responsables des informations illicites fournies par les utilisateurs de leurs services crée un risque important pour la liberté d’expression, parce qu’afin d’échapper à tout risque de responsabilité, ceux-ci peuvent être tentés de « sur-bloquer », en particulier parle recours à des outils de reconnaissance automatique de contenu, et ce « au moindre doute sur leur licéité »  (point 142). Les titulaires de droit n’ont pourtant pas un monopole absolu sur l’utilisation de leurs objets protégés, puisque l’article 5, paragraphe 3, de la directive 2001/29 contient une liste d’exceptions et limitations au droit exclusif de « communication au public »., telles la caricature, la parodie ou le pastiche.

Or, « une partie significative des contenus mis en ligne par les utilisateurs sur les services de partage consiste en des utilisations, voire des réappropriations créatives, d’œuvres et d’autres objets protégés susceptibles d’être couvertes par ces exceptions et limitations » (point 146), bien que « [l]a ligne séparant une utilisation légitime de la contrefaçon peut s’avérer, dans différents cas, discutable » (point 146).

Afin de prévenir le risque de « sur-blocage », un régime de responsabilité tel que celui résultant des dispositions attaquées doit, selon AG Saugmandsgaard Øe, être accompagné de garanties suffisantes pour minimiser les risques pour la liberté d’expression et

« doit s’inscrire dans un cadre légal fixant des règles claires et précises régissant la portée et l’application des mesures de filtrage devant être mises en œuvre par les prestataires de services visés, de nature à assurer aux utilisateurs de ces services une protection efficace contre le blocage abusif ou arbitraire des informations qu’ils souhaitent mettre en ligne » (point 150).

Selon la requérante, les mesures de filtrage et de blocage prises par les fournisseurs de services de partage devraient être prises ex ante, sans déterminer préalablement si le contenu porte bien atteinte à un droit de propriété intellectuelle. L’utilisateur peut ensuite formuler une plainte en ligne s’il estime que le contenu partagé est légitime et celui-ci peut ensuite être remis en ligne si la plainte est estimée légitime.

Ce n’est pas l’interprétation du Parlement, du Conseil et de la Commission, pour qui le droit des utilisateurs des services de partage d’utiliser les légitimement objets protégés en vertu de l’article 17, paragraphe 7, de la directive 2019/790, « devrait être pris en compte ex ante par les fournisseurs de ces services, dans le processus même de filtrage », interprétation à laquelle se rallie AG Saugmandsgaard Øe.

La Commission a publié le 4 juin dernier ses orientations sur l’application de l’article 17 de la directive 2019/790 , qui indiquent , pour la première fois, que les titulaires de droits doivent pouvoir « réserver » (earmark) les objets dont la mise en ligne non autorisée est « susceptible de leur causer un préjudice économique significatif », à l’égard desquels les fournisseurs devraient faire preuve d’une diligence particulière. AG Saugmandsgaard Øe note que 

« [s]i cela doit être compris en ce sens que ces mêmes fournisseurs devraient bloquer ex ante des contenus sur simple allégation d’un risque de préjudice économique important par les titulaires de droits – les orientations ne contenant pas d’autre critère limitant objectivement le mécanisme de « réservation » à des cas particuliers  –, quand bien même ces contenus ne seraient pas manifestement contrefaisants, je ne peux pas y souscrire, sauf à revenir sur l’ensemble des considérations exposées dans ces conclusions. »

L’interdiction des obligations générales de surveillance (paragraphe 8)

Le paragraphe 8 de l’article 17 de la directive 2019/790 dispose que « l’application de [cet article] ne donne lieu à aucune obligation générale de surveillance ». Les prestataires intermédiaires ne sont pas compétents pour apprécier d’une manière autonome la légalité des informations mises en ligne sur leurs plateformes et ne « sauraient […] être transformés en arbitres de la légalité en ligne, chargés de trancher des questions juridiques complexes » (point 197). C’est pourquoi, selon AG Saugmandsgaard Øe, un prestataire intermédiaire ne doit être tenu de bloquer que les informations « dont l’illicéité a, au préalable, été établie par un juge ou, à défaut, des informations dont le caractère illicite s’impose d’emblée, c’est‑à‑dire manifestement, sans, notamment, qu’il soit nécessaire de les contextualiser » (point 198).

Il découle de l’arrêt Glawischnig-Piesczek qu’un prestataire intermédiaire ne peut être obligé de procéder, conformément à l’article 15 de la directive 2000/31, à un filtrage généralisé des informations qu’il stocke à la recherche de n’importe quelle contrefaçon, mais peut le contraindre à bloquer un contenu précis. Cette interprétation de l’article 15 de la directive 2000/31, est « transposable, mutatis-mutandis, à l’article 17, paragraphe 8, de la directive 2019/790 » (point 201).

Ainsi, l’article 17 de la directive 2019/790 garantit d’une manière suffisante le droit à la liberté d’expression et AG Saugmandsgaard Øe suggère à la CJUE de rejeter le recours de la Pologne.

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CJUE: exploitants de plates-formes en ligne ne font en principe pas, eux-mêmes, une communication au public des contenus protégés par le droit d’auteur que leurs utilisateurs mettent illégalement en ligne

Le 22 juin 2021, la grande chambre de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu un arrêt dans les affaires jointes C-682/18, C-683/18, YouTube et Cyando.

Selon la CJUE, en l’état actuel du droit de l’Union, les exploitants de plates-formes en ligne ne font en principe pas, eux-mêmes, une communication au public des contenus protégés par le droit d’auteur que leurs utilisateurs mettent illégalement en ligne.

En outre, l’article 14, paragraphe 1, de la directive sur le commerce électronique doit être interprété en ce sens que l’activité de ces exploitants relève du champ d’application de cette disposition, s’ils ne jouent pas un rôle actif de nature à leur conférer une connaissance ou un contrôle des contenus téléversés sur leurs plateformes.

La directive 2019/790 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique n’était pas entrée en vigueur au moment des faits et les questions préjudicielles posées ne la concernent pas. L’arrêt rendu par la CJUE a d’ailleurs soin de noter que la décision est « en l’état actuel du droit de l’Union. ».

Les faits qui ont donné lieu à l’affaire C‑682/18 étaient les suivants :

Un producteur de musique avait conclu avec une artiste un contrat exclusif. Des œuvres d’un des albums de la musicienne, ainsi que des extraits d’un de ses concerts, avaient été publiés sans autorisation sur la plateforme YouTube. L’accès à ces informations avait été bloqué, puis rendu disponible à nouveau quelque temps après.

Le producteur avait demandé au Landgericht Hamburg, le tribunal régional d’Hambourg, en Allemagne, d’ordonner à Google et YouTube de cesser de mettre ces contenus à la disposition du public. Le tribunal avait fait droit à ces demandes pour trois œuvres seulement. En appel, l’Oberlandesgericht Hamburg, le tribunal régional supérieur d’Hambourg, avait en partie reformé le jugement de première instance, tout en notant que YouTube n’était pas responsable de la création ni de la publication du contenu illicite.  

Les faits qui ont donné lieu à l’affaire C‑683/18 étaient les suivants :

La maison d’édition Elsevier, titulaire des droits d’exploitation exclusifs des œuvres en cause, Gray’s Anatomy for Students, Atlas of Human Anatomy et Campbell-Walsh Urology, avait constaté que celles-ci avaient été téléversées sans autorisation sur une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers exploitée par la société Cyando. Cette dernière en avait été informé par notification de la maison d’édition. Elsevier avait demandé au Landgericht München, le tribunal régional de Munich, d’ordonner la cessation de ces atteintes au droit d’auteur et le tribunal avait condamné Cyando comme complice des atteintes au droit d’auteur. En appel, l’Oberlandesgericht München (tribunal régional supérieur de Munich,) considéra que Cyando ne pouvait être l’auteur des atteintes au droit d’auteur puisqu’il ne fait que fournir les moyens techniques permettant à ses utilisateurs de téléverser les œuvres.

Le Bundesgerichtshof, la Cour fédérale de justice, avait été saisi des deux affaires et avait posé dans ses deux affaires plusieurs questions préjudicielles à la CJUE, qui portaient, inter alia, sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, et de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (directive sur le droit d’auteur) et de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur ( directive commerce électronique).

La CJEU avait lié les affaires C‑682/18 et C‑683/18.

Est-ce que l’exploitant d’une plateforme de partage de vidéos ou d’une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers effectue lui-même un « acte de communication » ?

L’article 3-1 de la directive sur le droit d’auteur dispose que les « États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement ».

Selon la CJEU, la notion de « communication au public », au sens de l’article 3-1 de la directive sur le droit d’auteur couvre « toute communication au public non présent au lieu d’origine de la communication » ce qui englobe « toute transmission ou retransmission, de cette nature, d’une œuvre au public, par fil ou sans fil, y compris la radiodiffusion ».

Il convient néanmoins de maintenir un « juste équilibre » entre l’intérêt des titulaires des droits d’auteur et des droits voisins à protéger leurs droits et la protection des intérêts et des droits fondamentaux des utilisateurs d’objets protégés, en particulier de leur liberté d’expression et d’information. Ce « juste équilibre » doit être recherché, selon la CJUE, « en tenant compte également de l’importance particulière d’Internet pour la liberté d’expression et d’information ».

Selon une jurisprudence bien établie de la CJEU, une communication au public associe deux éléments cumulatifs :

  • un acte de communication d’une œuvre et
  • la communication de cette œuvre à un public.

C’est pourquoi une appréciation individualisée est nécessaire, en tenant compte de critères complémentaires « de nature non autonome et interdépendants les uns par rapport aux autres » et qui peuvent être présents avec une intensité très variable, ce qui requiert de les appliquer individuellement, mais également dans leur interaction les uns avec les autres (VG Bild–Kunst, C‑392/19, point 34).

L’un de ces critères est « le rôle incontournable joué par l’exploitant de la plateforme et le caractère délibéré de son intervention ». Donner accès au public à une œuvre protégée en pleine connaissance des conséquences de son comportement, est bien un acte de communication. La notion de public est large puisqu’elle vise un nombre indéterminé de destinataires potentiels et implique, par ailleurs, un nombre de personnes assez important (voir par exemple, BY c. XC, C‑637/19, point 26).

En outre, pour être communiquée au public, l’œuvre doit avoir été communiquée selon un mode technique spécifique, différent de ceux utilisés auparavant, ou, à défaut, avoir été communiquée à un « public nouveau », qui n’avait pas été déjà pris en compte par le titulaire du droit lorsqu’il a autorisé la communication initiale de son œuvre au public (Nederlands Uitgeversverbond et Groep Algemene Uitgevers, C‑263/18 point 70 ).

Ce sont les utilisateurs des plateformes, et non-celles-ci, qui téléversent des contenus potentiellement illicites et ce sont également eux qui décident si ces contenus sont mis à la disposition d’auteurs utilisateurs. La plateforme exploitée par Cyando communique exclusivement le lien permettant d’avoir accès au contenu à l’utilisateur qui l’a téléchargé et celui-ci peut décider de le communiquer ou non à des tiers. YouTube permet à ses utilisateurs de téléverser des contenus en mode privé.

La CJEU cita son arrêt Stichting Brein, C‑610/15, point 26, qui avait précisé qu’un

« utilisateur réalise un acte de communication lorsqu’il intervient, en pleine connaissance des conséquences de son comportement, pour donner à ses clients accès à une œuvre protégée, et ce notamment lorsque, en l’absence de cette intervention, ces clients ne pourraient, ou ne pourraient que difficilement, jouir de l’œuvre diffusée ».

Dans notre affaire, les utilisateurs ayant téléchargé ces contenus avaient bien fait acte de communication au public puisqu’ils avaient donné, par l’intermédiaire des plateformes, accès à des œuvres protégées à des tiers, et ce sans l’accord des titulaires des droits d’auteurs ou des droits voisins.

Si l’exploitant joue bien « un rôle incontournable dans la mise à disposition de contenus potentiellement illicites, effectuée par ses utilisateurs, » cela n’est pas le seul critère que les tribunaux doivent considérer, et le critère du caractère délibéré de l’intervention de l’exploitant doit également être considéré, sans cela toute « fourniture d’installations destinées à permettre ou à réaliser une communication » serait un acte de communication au public, une interprétation qui serait contraire au considérant 27 de la directive sur le droit d’auteur selon lequel simplement fournir des installations destinées à permettre ou à réaliser une communication n’est pas une communication au sens de la directive.

L’exploitant doit être intervenu « en pleine connaissance des conséquences de son comportement dans le but de donner au public accès à des œuvres protégées pour cette intervention soit un acte de communication (Cyando, point 81). Il n’est pas suffisant que l’exploitant connaisse, « d’une manière générale, la disponibilité illicite de contenus protégés sur sa plateforme », sauf s’il a été averti par le titulaire des droits qu’un contenu protégé a été illégalement communiqué au public par l’intermédiaire de sa plateforme et qu’il s’abstient de prendre « promptement » les mesures nécessaires pour rendre le contenu inaccessible (Cyando, point 85). Le simple fait que l’exploitant poursuive un but lucratif ne présume ni n’établit le caractère délibéré d’une communication illicite de contenus protégés (Cyando, point 86).

La CJEU précisa que son arrêt GS Media (C-160/1) ne devait pas être interprété comme établissant une telle présomption. La CJEU avait jugé dans cette affaire que fournir un lien hypertexte vers une œuvre protégée, sans l’autorisation du titulaire du droit d’auteur, constitue une « communication au public » au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive sur le droit d’auteur, si la personne savait que l’œuvre avait été publiée illégalement, si le lien permet de contourner des mesures de restriction prises par le site où se trouve l’œuvre protégée ou si le placement du lien est effectué dans un but lucratif, auquel cas la connaissance du caractère illégal de la publication doit être présumée. Il semble ainsi que GS Media ne s’applique pas aux plateformes.

La CJUE nota que YouTube n’intervient pas dans la création des contenus téléversés par ses utilisateurs, et, qu’en autre, ceux-ci sont clairement informés qu’il leur est interdit de téléverser des œuvres contrevenant aux droits des tiers. YouTube a mis en place des dispositifs, notamment un bouton de notification et un procédé spécial d’alerte, afin qu’il soit possible de signaler et faire supprimer des contenus illicites. De manière similaire, Cyando ne crée, ne sélectionne ni ne contrôle les contenus téléversés sur sa plateforme et ses conditions d’utilisation informe les utilisateurs qu’il est interdit de porter atteinte au droit d’auteur par l’intermédiaire de la plateforme.

La CJEU conclue que

« l’article 3, paragraphe 1, de la directive sur le droit d’auteur doit être interprété en ce sens que l’exploitant d’une plateforme de partage de vidéos ou d’une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers, sur laquelle des utilisateurs peuvent mettre illégalement à la disposition du public des contenus protégés, n’effectue pas une « communication au public » de ceux-ci, au sens de cette disposition, à moins qu’il ne contribue, au-delà de la simple mise à disposition de la plateforme, à donner au public accès à de tels contenus en violation du droit d’auteur » (Cyando, point 102).

Est-ce que l’exploitant d’une plateforme de partage de vidéos ou d’une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers exploitant de plates-formes en ligne peut bénéficier de l’exonération de responsabilité prévue par la directive e- commerce pour les contenus protégés que des utilisateurs communiquent illégalement au public par l’intermédiaire de sa plateforme ?

L’article 14.1 de la directive e-commerce permet aux fournisseurs d’hébergement de limiter leur responsabilité s’ils stockent des informations à la demande d’un tiers s’ils n’ont « pas effectivement connaissance de l’activité ou de l’information illicites » ou s’ils ont agi « promptement pour retirer les informations ou rendre l’accès à celles-ci impossible ».

Selon le considérant 42 de la directive e-commerce, cette dérogation de responsabilité ne s’applique que si l’activité du prestataire de services dans le cadre de la société de l’information revêt un caractère purement technique, automatique et passif, ce qui signifie qu’il n’a pas eu connaissance des informations transmises ou ni ne les a contrôlées (Google France et Google, C‑236/08 à C‑238/08, points 112 et 113). Son rôle doit avoir été purement technique, automatique et passif, et il ne doit pas avoir connu ou contrôler les contenus stockés (L’Oréal e.a., C‑324/09, point 113).

La CJEU conclue que l’article 14, paragraphe 1, de la directive sur le commerce électronique doit être interprété en ce sens que l’activité de l’exploitant d’une plateforme de partage de vidéos ou d’une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers relève du champ d’application de cette disposition, s’il ne joue pas un rôle actif de nature à lui conférer une connaissance ou un contrôle des contenus téléversés sur sa plateforme.

Le nouveau régime spécial de responsabilité des plateformes de partage de contenu en ligne

L’ordonnance n°2021-580 du 12 mai 2021, présentée par la ministre de la Culture, transpose le 6 de l’article 2 et les articles 17 à 23 de la directive 2019/790 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique et modifiant les directives 96/9/CE et 2001/29/CE (Directive MUN).

L’article 15 de la directive MUN avait été transposé en droit français par la loi n° 2019-775 du 24 juillet 2019 tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse et des éditeurs de presse.

Les articles 1 à 3 de l’ordonnance n°2021-580 du 12 mai 2021 transposent l’article 17 de la directive MUN, qui instaure un régime spécial de responsabilité des plateformes de partage de contenu en ligne.

Selon l’article 13 de l’ordonnance, ces dispositions sont applicables à compter du 7 juin 2021 « aux œuvres et objets faisant l’objet d’une protection au titre du droit d’auteur ou des droits voisins à la date de publication de la présente ordonnance, y compris ceux téléversés antérieurement à cette date ».

Il s’agit des fournisseurs de services de partage de contenus en ligne, définis par l’article 2-6 de la directive comme les:  

« fournisseur[s] d’un service de la société de l’information dont l’objectif principal ou l’un des objectifs principaux est de stocker et de donner au public l’accès à une quantité importante d’œuvres protégées par le droit d’auteur ou d’autres objets protégés qui ont été téléversés par ses utilisateurs, qu’il organise et promeut à des fins lucratives » (FSPs).

Le considérant 62 de la directive précise que cette définition ne cible « que les services en ligne qui jouent un rôle important sur le marché des contenus en ligne en étant en concurrence pour les mêmes publics avec d’autres services de contenus en ligne, comme les services de diffusion audio et vidéo en flux continu ». Ces services ont pour objectif principal, ou pour un de leurs objectifs principaux, le stockage et de permettre à leurs utilisateurs:

« de téléverser et de partager une quantité importante de contenus protégés par le droit d’auteur en vue d’en tirer un profit, directement ou indirectement, en organisant et en promouvant ces contenus afin d’attirer un public plus large, y compris en les classant et en faisant une promotion ciblée parmi ceux-ci ».

L’article 17 de la directive sur le marché unique numérique

Selon l’article 17.1 de la Directive, les FSPs communiquent ou mettent à la disposition du public une œuvre protégée par le droit d’auteur s’ils permettent au public d’y accéder après que l’œuvre a été téléversée sur leur plateforme par un de leurs utilisateurs.

L’article 17-3 de la directive exclut de tels actes de communication au public ou mise à disposition du public du régime spécial de responsabilité établi à l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31/CE (directive e-commerce). En revanche, tel qu’il est expliqué par le considérant 65 de la directive MUN, ce régime spécial de responsabilité n’affecte pas l’application de l’article 14, paragraphe 1, de la directive e-commerce aux fournisseurs de services « pour des finalités qui ne relèvent pas du champ d’application de la [directive MUN] ».

Par conséquent, un FSP doit obtenir l’autorisation des titulaires de droits d’auteur avant de mettre à la disposition du public une œuvre protégée, en concluant, notamment, un accord de licence. Si tel est le cas, cette autorisation couvre, selon l’article 17.2, les actes des utilisateurs des services fournis par le FSP si leurs actions ne sont pas à but commercial et « ne génère[nt] pas de revenus significatifs ».

Si le FSP n’obtient pas d’autorisation, il est responsable des actes non autorisés de communication au public, y compris la mise à la disposition du public, d’œuvres protégées par le droit d’auteur. L’article 17-4 de la directive MUN prévoit toutefois un régime spécifique de responsabilité, afin de tenir compte, comme l’explique le considérant 66, « du fait que les fournisseurs de services de partage de contenus en ligne donnent accès à des contenus qui ne sont pas téléversés par eux-mêmes, mais par leurs utilisateurs ».

Les FSPs doivent démonter avoir fourni leurs « meilleurs efforts pour obtenir une autorisation », article 17-4(a), ainsi que « pour garantir l’indisponibilité d’œuvres (…) [protégées] (…) pour lesquels les titulaires de droits ont fourni aux fournisseurs de services les informations pertinentes et nécessaires », article 17-4(a).

Ils doivent en outre avoir « agi promptement » pour bloquer ou retirer de la plateforme le contenu protégé après avoir été notifié par le titulaire des droits d’une manière « suffisamment motivée » et avoir fourni « leurs meilleurs efforts » afin d’empêcher que l’œuvre soit à nouveau téléversée, article 17-4(c).

Le guide d’interprétation de la Commission de l’article 17

L’article 17-10 de la directive MUN demandait à la Commission européenne d’émettre des orientations sur l’application de l’article 17, et celle-ci a publié le 4 juin dernier un guide d’interprétation de l’article 17, Guidance on Article 17 of Directive 2019/790 on Copyright in the Digital Single Market, COM (2021) 288 final.

Celui -ci spécifie que les conditions spécifiques du régime spécial de responsabilité des FSPs doivent être « explicitement introduites dans le droit national » des États membres. C’est désormais chose faite pour la France.

La transposition de l’ordonnance en droit français

L’Ordonnance ajoute un Chapitre VII « Dispositions applicables à certains fournisseurs de services de partage de contenus en ligne » au titre III du livre Ier du Code de la propriété intellectuelle (CPI).

L’article 1er de l’ordonnance crée l’article L. 137-1 du CPI qui définit le champ d’applications des services concernés par ce nouveau régime de responsabilité. Ce nouvel article définit les fournisseurs d’un service de partage de contenus en ligne comme des personnes fournissant:

« un service de communication au public en ligne dont l’objectif principal ou l’un des objectifs principaux est de stocker et de donner au public accès à une quantité importante d’œuvres ou d’autres objets protégés téléversés par ses utilisateurs, que le fournisseur de service organise et promeut en vue d’en tirer un profit, direct ou indirect ».

Sont toutefois exclus du champ d’application de ce nouveau régime ;

  • les encyclopédies en ligne à but non lucratif,
  •  les répertoires éducatifs et scientifiques à but non lucratif,
  • les plateformes de développement et de partage de logiciels libres,
  • les fournisseurs de services de communications électroniques au sens de la directive (UE) 2018/1972 du 11 décembre 2018 établissant le code des communications électroniques européen,
  • les fournisseurs de places de marché en ligne,
  •  les services en nuage entre entreprises et
  • les services en nuage qui permettent aux utilisateurs de téléverser des contenus pour leur usage strictement personnel.

Afin de déterminer ce que signifie « quantité importante d’œuvres et objets protégés », l’article L. 137-1, alinéa 4, précise qu’il faut « tenir compte notamment du nombre de fichiers de contenus protégés téléversés par les utilisateurs du service, du type d’œuvres téléversées et de l’audience du service ». Les modalités d’application cet alinéa seront définies par décret en Conseil d’État.

L’alinéa 3 de l’article 137-1 précise que les services de communication au public en ligne dont l’objet est de porter atteinte aux droits d’auteurs et aux droits voisins ne bénéficient pas du régime spécial d’exonération de responsabilité des services créé par l’article 17 de la directive, même s’ils ont fourni les « meilleurs efforts » décrits par le nouvel article L.137-2 III du CPI, qui transpose l’article 17-4 de la directive MUN.

L’article L. 137-2 I du CPI transpose l’article 17- 1 de la directive MUN et dispose qu’en donnant accès aux œuvres téléversées par ses utilisateurs un fournisseur de service de partage de contenus en ligne:

« réalise un acte de représentation de ces œuvres pour lequel il doit obtenir l’autorisation des titulaires de droits, sans préjudice des autorisations qu’il doit obtenir au titre du droit de reproduction pour les reproductions desdites œuvres qu’il effectue ».

L’article L. 137-2 II du CPI exclut l’application des dispositions du 2 et du 3 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 aux fournisseurs n’ayant pas obtenu d’autorisation. Ces dispositions de l’article 6-I avaient transposé en droit français le régime de responsabilité de la directive e-commerce.

L’article L. 137-2 III du CPI III transpose l’article 17-4 de la directive MUN et dispose que le FSP qui n’aurait pas obtenu d’autorisation des titulaires de droits peut néanmoins s’exonérer de sa responsabilité en raison des actes d’exploitation non autorisés d’œuvres protégées par le droit d’auteur, s’il démontre qu’il a rempli toutes ces conditions :

« a) Il a fourni ses meilleurs efforts pour obtenir une autorisation auprès des titulaires de droits qui souhaitent accorder cette autorisation ;

b) Il a fourni ses meilleurs efforts, conformément aux exigences élevées du secteur en matière de diligence professionnelle, pour garantir l’indisponibilité d’œuvres spécifiques pour lesquelles les titulaires de droits lui ont fourni, de façon directe ou indirecte via un tiers qu’ils ont désigné, les informations pertinentes et nécessaires ;

c) Il a en tout état de cause agi promptement, dès réception d’une notification suffisamment motivée de la part des titulaires de droits, pour bloquer l’accès aux œuvres faisant l’objet de la notification ou pour les retirer de son service, et a fourni ses meilleurs efforts pour empêcher que ces œuvres soient téléversées dans le futur, en application du b » 

Ce que signifie « meilleurs efforts » sera sans doute débattu dans les prochaines années, en attendant une interprétation de l’article 17 par le Cour de Justice de l’Union Européenne. Il semble néanmoins que les FSPs devront bien filtrer, voire bloquer, les contenus téléversés sur leurs plateformes qui contreviennent aux droits d’auteur et aux droits voisins.

Les fournisseurs de services dont la mise à disposition auprès du public dans l’Union européenne date de moins de trois ans, dont le chiffre d’affaires est inférieur à dix millions d’euros calculés conformément à la recommandation 2003/361/ CE de la Commission européenne du 6 mai 2003 concernant la définition des micro, petites et moyennes entreprises, bénéficient d’un niveau allégé de diligences. Cela permet, notamment, aux start-ups développer leur activité sans avoir, du moins dans un premier temps à mettre en place un système de filtrage et de blocage des contenus.

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MarabouTintin ? De L’Exception de Parodie

L’artiste français Xavier Marabout a créé une série de peintures mettant en scène le personnage de bande dessinée Tintin dans l’univers du peintre américain Edward Hopper. Le site personnel de l’artiste explique que celui-ci « utilise le regard voyeuriste et attentiste du peintre américain pour imaginer une vie sentimentale et tumultueuse à Tintin ».

L’artiste a peint d’autres séries de « mashups », des œuvres créées en empruntant et combinant des éléments d’œuvres préexistantes, en particulier une série mêlant les personnages des dessins animés de Tex Avery et les œuvres de Pablo Picasso.

Cette entreprise n’a pas été du goût de la société de droit belge Moulinsart, chargée par la fille d’Hergé, le créateur de Tintin, d’exploiter l’œuvre du dessinateur, décédé en 1983, et dont sa fille est légataire universelle.

La société Moulinsart avait mis l’artiste en demeure en 2015 de retirer de la vente ses œuvres mettant en scène Tintin et l’avait sommé de lui rendre compte du nombre de ces œuvres, de leur prix de vente et de leur période de commercialisation, afin de pouvoir apprécier son préjudice. L’artiste n’avait pas donné suite, citant l’exception de parodie.

La société Moulinsart assigna alors l’artiste en 2017, au motif que ses œuvres mettant en scène Tintin contrevenaient au droit d’auteur patrimonial dont la société Moulinsart est titulaire et qu’elles portaient en outre atteinte au droit moral exercé par la fille d’Hergé, qui demandait à ce titre une somme symbolique d’un euro.

La société Moulinsart sollicita l’interdiction de reproduction, de représentation, d’adaptation et d’exploitation des personnages créés par Hergé, sous astreinte de 1.000 euros par infraction, et demanda en outre la destruction des toutes les œuvres sous astreinte.

Le caractère de Tintin est protégé par le droit d’auteur

Le tribunal judiciaire de Rennes souligna dans son jugement du 10 mai dernier (TJ Rennes, 10 mai 2021, n° 17/04478), que « les personnages illustrant les bandes-dessinées peuvent être regardés en eux-mêmes comme des œuvres protégées distinctes de l’œuvre originelle ».

Le défendeur a bien repris des éléments du personnage de Tintin, tel « le personnage de Tintin lutin, garçon roux au visage ovale, avec une houppette et porteur d’un pantalon de golfe »,  qui sont reproduits dans les mashups, mais les personnages « sont clairement attribués à l’œuvre d’Hergé » par le défendeur « et par tout public nécessairement baigné dans cet univers créé par Hergé ». Le tribunal rappela que Tintin est connu dans le monde entier, que les albums d’Hergé ont été vendus à 230 millions d’exemplaires, citant le magazine L’Express selon lequel Tintin est « aussi connu que Jésus Christ et les Beatles réunis». Le tribunal conclut que les personnages créés par Hergé sont originaux et protégés par le droit d’auteur.

Le caractère de Tintin créé par le défendeur est également protégé par le droit d’auteur

Bien qu’il soit suffisamment établi, selon le tribunal judiciaire, que le personnage créé par le défendeur est inspiré de l’œuvre d’Hergé, le défendeur a usé « de son propre génie créatif » pour faire de Tintin un homme adulte, distinct du Tintin créé par Hergé, et qui constitue « un personnage original en ce qu’il est rattaché à son auteur dont l’œuvre est caractérisée par la ligne claire ».

L’exception de parodie

Le défendeur ne contestait pas, du reste, s’être inspiré et avoir reproduit le personnage sans autorisation de la société Moulinsart, mais invoqua l’exception de parodie en défense.

L’article 5.3k de la Directive 2001/29 du 22 mai 2001 (Directive « Société de l’information ») donne aux États membres la faculté de prévoir des exceptions au droits d’auteur, dont la parodie. En France, l’article L.122-5, 4° du Code de la propriété intellectuelle dispose que l’auteur d’une œuvre ne peut interdire la parodie, le pastiche et la caricature, « compte tenu des lois du genre ».

Le tribunal judiciaire rappela que l’exception de parodie garantit la liberté d’expression des artistes, et que ce principe a valeur constitutionnelle. Le juge doit vérifier qu’il existe un juste équilibre entre la liberté d’expression de l’artiste et les droits de l’auteur dont les œuvres originales ont inspiré le parodiste.

La parodie doit permettre l’identification immédiate de l’œuvre parodiée

La Cour de Justice de l’Union Européenne avait défini, dans son arrêt Deckmyn c. Vandersteen, C-201/13, la parodie comme ayant :

« … pour caractéristiques essentielles, d’une part, d’évoquer une œuvre existante, tout en présentant des différences perceptibles par rapport à celle-ci, et, d’autre part, de constituer une manifestation d’humour ou une raillerie ».

Le pastiche se distingue de la caricature, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, en ce qu’« il est dans les lois du genre de [la caricature], qui se distingue en cela du pastiche, de permettre l’identification immédiate de l’œuvre parodiée » (Cass. Civ 1ère, 12 janvier 1988, 85-18.787).

La parodie doit permettre l’identification immédiate de l’œuvre parodiée. Selon le tribunal judiciaire, tel est « manifestement le cas en l’espèce en ce que les personnages se rattachant aux albums d’Hergé et reproduits dans les travaux [du défendeur] s’identifient sans peine ».

Le tribunal judiciaire nota que le défendeur signe ses œuvres, « de sorte que l’observateur même très moyennement attentif ne peut se méprendre lorsqu’il regarde un travail [du défendeur] sur l’auteur de la peinture ou de la reproduction de cette peinture ». Selon le tribunal, le premier regard du spectateur porte sur un ensemble évoquant l’œuvre d’Hopper, où apparait Tintin, ce qui établit « une distanciation suffisante » avec l’œuvre D’Hergé, qui « ne peut être considérée comme dominante ».

Le tribunal judiciaire souligne en outre que le support de l’œuvre parodique, un tableau acrylique, est différent de la bande dessinée. La composition des œuvres parodiques évoque certes l’œuvre d’Hergé, mais également celle d’Edward Hopper, qui est « assez différente de celle d’Hergé ».

En effet, le défendeur présente Tintin dans des situations où il n’avait pas été placé par Hergé : situations érotiques ou du moins amoureuses, assis hébété au bord d’une voie ferrée, le front ensanglanté, sans que ces représentations dénigrent ou avilissent l’œuvre d’Hergé, puisqu’elles n’ont pas de caractère pornographique. Les personnages ainsi pastichés « se trouvent dans des situations qui leurs sont habituellement inconnues et où ils apparaissent visiblement déplacés ».

Parodie et humour

La parodie a également un élément moral, l’humour ou la raillerie, et il faut pour cette exception soit établie que l’auteur de la parodie ait eu une intention humoristique.

Le tribunal judiciaire cite plusieurs articles de presse qui avait noté le caractère humoristique des œuvres parodique et

« cette intention humoristique est également ressentie par le tribunal qui constate que l’œuvre austère d’Hergé [est] réinterprétée dans un sens plus animé, plus vivant par l’inclusion de personnages (et de véhicules) notamment issus de l’œuvre d’Edward Hopper qui viennent y vivre une relation sans doute teintée d’affection et d’attirance sexuelle ».

Le tribunal note en outre que « l’incongruité de la situation au regard de la sobriété sinon la tristesse habituelle des œuvres d’Hervé » est humoristique, ainsi que l’inclusion de personnages féminins, alors que l’univers de Tintin n’en comporte que très peu, et toutes peu séduisantes, de la Castafiore à sa femme de chambre Irma.

Edward Hopper et non Hergé comme source d’inspiration

Le tribunal nota également que les titres des œuvres parodiques évoquent les tableaux d’Edward Hopper dont ils s’inspirent, tel Rupture à Cap Cop, qui évoque Cape Cod Evening, où Milou remplace le Border Collie, Tintin l’homme assis au seuil de sa maison typique de la Nouvelle Angleterre, et une jeune femme en tailleur bleu cintré remplace la femme entre deux âges qu’avait peint Hopper.

Le tribunal estima ainsi qu’il n’y avait aucun risque de confusion, et que la « première source d’inspiration [du défendeur] est celle du peintre américain. »

Il conclut que « l’inspiration artistique tient toujours compte des œuvres précédentes, avec parfois des imitations, des reproductions, lesquelles ne peuvent être interdites par principe, au cas d’espèce les citations sont claires, le risque de confusion est nul, l’exception de parodie est parfaitement recevable et fondée » et débouta les demandeurs de leurs demandes.

Dans une affaire similaire, à propos de courts romans formant la collection des « aventures de Saint-Tin et de son ami Lou », la Cour d’Appel de Paris avait confirmé en février 2011 une décision du TGI de Paris qui avait a accueilli l’exception de parodie et rejeté l’action en contrefaçon formée par la société Moulinsart et la fille d’Hergé (CA Paris, Pôle 5, 2ème ch., 18 février 2011).

La trame des romans était similaire à celle des albums de Tintin, mais uniquement en ce que Saint-Tin combattait le crime aux quatre coins du monde en compagnie de ses amis. Leurs prologues, épilogues et intrigues différaient des albums de Tintin et ainsi, « tout en se nourrissant de l’œuvre d’Hergé, [ces romans] sav[aient] s’en distancier suffisamment pour éviter tout risque de confusion, ne serait-ce que par la forme romanesque adoptée et les intrigues originales qu’ils décrivent ».

Les romans étaient parodiques puisque leurs titres (Le Crado pince fort, Le vol des 714 porcineys…) et ainsi  « le propos parodique [était] d’emblée perçu à la lecture du titre et à la vue des couverture, tous deux renseignant immédiatement sur la volonté des auteurs de travestir et de détourner les images avec le dessein de faire rire », d’autant plus que les romans recouraient à de nombreux calembours et jeux de mots.

Voir également ce billet écrit sur ce blog en 2013 sur un autre cas encore d’une parodie de Tintin.

Image is courtesy of Flickr user Judith Doyle under a CC BY-ND 2.0 license.

Comment prouver la qualité d’auteur de modèles créés directement sur le mannequin ?

Nous avons vu la semaine dernière qu’il est important pour un styliste de mode de documenter son procédé de création afin de pouvoir prouver avoir créé un modèle de vêtement ou d’accessoire et de signer ses dessins et ses croquis.

Comment prouver sa qualité d’auteur si le styliste crée directement le modèle sur le mannequin, sans faire de croquis ? Un arrêt de la Cour d’appel (CA) de Paris du 26 février 2021 nous apporte des éléments de réponse.

Dans cette affaire, une styliste, MJ, avait créé en 1980, avec ses deux sœurs, une SAS, la société C., dont l’activité était la création et la vente de robes de mariées et de leurs accessoires. Les robes étaient vendues dans ses boutiques propres, par des franchisés, et par des revendeurs multi-marques.

MJ avait pris sa retraite en 2013. La société C. avait fait l’objet, l’année suivante, d’une procédure de liquidation judiciaire, suite à laquelle un plan de cession au profit la société CF avait été arrêté. Ce plan comprenait notamment la reprise des droits de propriété intellectuelle attachés aux dessins et modèles, qu’ils soient ou non déposés, ainsi que des patrons des robes créées par la société C.

MJ et ses sœurs avaient créé une nouvelle maison de couture, AE, en 2016, qui vend des robes de mariées créées par MJ. CF estima que cette activité constituait une concurrence déloyale et assigna MJ, ses sœurs, et la société AE, devant TGI de Fontainebleau, qui rejeta la demande.

MJ forma alors une demande reconventionnelle en contrefaçon de droit d’auteur sur plusieurs modèles de robes de mariées commercialisées par CF, alléguant les avoir créées après son départ de la société C. Le TGI de Paris rejeta sa demande et MJ interjeta appel.

La société CF invoqua en défense la présomption prétorienne de titularité des droits d’auteur au profit de la personne morale, selon laquelle « l’exploitation non équivoque d’une œuvre par une personne physique ou morale, sous son nom et en l’absence de revendication du ou des auteurs, fait présumer à l’égard du tiers recherché pour contrefaçon, que cette personne est titulaire sur l’œuvre, qu’elle soit ou non collective, du droit de propriété incorporelle de l’auteur » (Cass. Civ. 1ère, 10 juillet 2014).

La société CF alléguait avoir exploité sans équivoque les robes de mariées en cause et qu’elle en avait acquis les droits patrimoniaux en tant que cessionnaire du fonds de commerce de la société C.  

Toutefois, la personne morale doit exploiter de façon paisible et non équivoque une œuvre de l’esprit sous son nom pour être présumée titulaire des droits d’auteur, et ce n’était pas le cas en l’espèce puisque MJ alléguait être l’auteur des robes de mariée.

La CA de Paris examina les preuves présentées par les parties afin de déterminer qui est l’auteur des modèles de robes de mariés. C’est sur ce point que l’arrêt du 26 février est intéressant, car il montre de quelle manière il est possible de prouver la qualité d’auteur de modèles créés directement sur le mannequin.  

MJ produisit devant la CA de Paris « de nombreuses attestations d’anciens salariés de la société C. ou d’intervenants extérieurs en qualité de ‘free lance’ ». Ces attestations :  

« présent[aient] MJ comme la créatrice des collections de la société C., ses plus proches collaborateurs confirmant par des propos précis et circonstanciés que celle-ci travaillait seule à la création des modèles sans établir de croquis, créant directement sur le mannequin pour établir les toiles et patronages du modèle. »

La CA de Paris releva en outre que des dessins et modèles de l’Union européenne d’autres modèles de robes de mariée, qui avaient été effectués par la société C. en mai 2013, mentionnaient MJ en qualité de créateur.

MJ a ainsi bien pu démontrer avoir créé les modèles de robe de mariées en cause, « ce quand bien même elle ne fournit au débat aucun croquis, celle-ci créant directement sur le mannequin comme en témoignent de nombreuses personnes. »

Les stylistes bénéficieront sans doute de conserver des relations avec leurs anciens collègues, et de ne pas créer les modèles toutes portes fermées…  

Cour d’appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 26 février 2021, 19/15130 (D20210009) – (Confirmation partielle TGI Paris, 16 mai 2019, 16/17063)

La référence de l’image est (Domaine Public).

Les stylistes de mode salariés peuvent être titulaires du droit d’auteur sur leurs créations

Un récent arrêt de la Cour de Paris devrait retenir l’attention des stylistes de mode salariés ainsi que de leurs employeurs.

Dans cette affaire, un styliste avait été embauché comme styliste accessoires en 2013 par une entreprise française de prêt-à-porter et d’accessoires féminins. Il avait, selon lui, créé en septembre 2014 « une paire de basket vintage », dessinée pour évoquer les années 80, mais avait réinterprété le modèle « en [le] déstructurant totalement pour parvenir à une forme innovante et originale. » Le modèle, appelé Slash et qui connut un grand succès, apparut pour la première fois dans la collection Printemps/Été 2015 de la société.  

Le styliste prétendait être l’auteur de ce modèle, ainsi que de son sac d’emballage et de sa semelle d’inspiration léopard. Il assigna la société en contrefaçon de droit d’auteur et de dessins et modèles, prétendant en outre que les dessins et modèles français de ces trois articles, déposés auprès de l’INPI, devaient lui être transférés. Il fut débouté de ses demandes en juin 2019 par le Tribunal de grande instance de Paris et interjeta appel. La Cour d’appel de Paris confirma l’arrêt du TGI de Paris le 5 mars 2021.

Selon la société intimée, la basket Slash avait été créée par la directrice du style, qui, selon les termes de son contrat, avait la charge de diriger l’équipe des stylistes, y compris l’appelant, dont le propre contrat spécifiait qu’il était « rattaché à la directrice du style ».

La Cour d’appel de Paris rappela tout d’abord qu’une œuvre est protégée par le droit d’auteur, sans qu’aucune formalité n’ait à être accomplie, pour peu qu’elle soit originale. L’auteur doit néanmoins rapporter « la preuve d’une création déterminée à une date certaine et (…) caractériser l’originalité de cette création ».

En l’espèce, la Cour nota qu’il n’était pas possible d’attribuer la paternité des semelles léopard au styliste, car les dessins qu’il avait produits n’étaient ni signés, ni datés. Cet arrêt nous informe que les professionnels de la mode soucieux de pouvoir prouver la paternité de leurs créations doivent avoir à cœur de dater et signer leurs dessins et croquis.

L’auteur doit également pouvoir prouver qu’il a créé l’œuvre. Dans cette affaire, la directrice du style avait témoigné qu’elle avait discuté de la basket Slash avec le styliste, tout d’abord pour échanger leurs idées sur les matières et les formes, puis, lors d’un second entretien, afin qu’elle valide le croquis du styliste. La société avait en outre produit un courriel envoyé par le styliste demandant à la directrice du style d’approuver le modèle de la boîte à chaussure, où il référait en outre à l’équipe de style qui avait « souhaité revoir la couleur des lacets etc… »

La Cour d’appel avait conclu que « l’autonomie créatrice [du styliste] [était] restreinte, puisqu’il devait obtenir l’approbation de la directrice du style et de l’équipe de style et « travaillait en collaboration avec l’équipe de style de la société et sous la subordination de sa directrice de style ». Le styliste « n’établit pas la titularité des droits d’auteur sur la basket Slash, la boîte/sac d’emballage, et la semelle léopard créées pour la collection (…) de printemps-été 2015. »

Bien que l’arrêt n’ait pas donné raison au styliste, il est tout de même intéressant à connaître pour les créateurs de mode salariés. En effet, la Cour d’appel précisa que :

« (…) l’existence d’un contrat de travail n’est pas exclusive de la protection par le droit d’auteur et le salarié est investi des droits de propriété incorporelle institués au bénéfice de l’auteur pour peu qu’il ait fait œuvre de création en conservant sa liberté et sans que les choix esthétiques opérés ne lui aient été imposés par l’employeur ».

Ainsi, un styliste salarié peut-être titulaire du droit d’auteur sur les modèles créés, si tant est qu’il a conservé sa liberté et que l’employeur ne lui a pas imposé « les choix esthétiques opérés ». Les stylistes bénéficieront sans doute de tenir un journal personnel de création et de noter les étapes qui ont abouti à la création d’un modèle, un procédé utile aux entreprises employant des stylistes salariés afin de pouvoir prouver avoir imposé leurs choix esthétiques à leurs employés.

Cour d’appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 5 mars 2021, 19/17254 (D20210011), Michaël A c. C. des c. SAS, confirmant le jugement du 28 juin 2019 du Tribunal de grande instance de Paris, 3ème chambre, 3ème  section , RG n° 17/12374

Paris Court Denies Copyright Protection to Jimi Hendrix Photograph

Gered Mankowitz is a British photographer who photographed many famous musicians such as Mick Jagger and Annie Lennox. He took several photographs of Jimi Hendrix in 1967. One of these photographs represents the musician, wearing a military jacket, holding a cigarette and puffing a cloud of smoke while looking at the photographer. An original print recently sold at auction for £2,750.

This photograph was used without authorization in 2013 for an advertising campaign by Egotrade, a French electronic cigarette company. The ad showed Jimi Hendrix holding an electronic cigarette and the “Egotabaco” brand was printed on the ad.

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Gered Mankowitz and Bowstir Ltd, the company to which Mr. Mankowitz has assigned his patrimonial rights to the photography, filed suit in France. Bowstir claimed copyright infringement and Mr. Mankowitz claimed droit moral infringement. On May 21, the Paris Tribunal de Grande Instance (TGI), a court of first instance, ruled that the Jimi Hendrix photograph could not be protected by French intellectual property law, as it was not original.

French intellectual property law does not provide a definition of “originality.” Article L. 111-1 of the French Intellectual Property Code provides that “[t]he author of a work of the mind shall enjoy in that work, by the mere fact of its creation, an exclusive intangible property right enforceable against all. This right shall include attributes of intellectual and moral attributes as well as patrimonial attributes.” Article L. 112-1 specifies that the law “protects the rights of authors in all works of the mind, whatever their kind, form of expression, merit or purpose.”

The TGI cited the European Court of Justice (ECJ) Eva Maria Painer. v. Standard Verlags case, where the Court had discussed the originality of a picture taken by a school photographer. For the ECJ, which the TGI cited verbatim,

“[a]s stated in recital 17 in the preamble to Directive 93/98, an intellectual creation is an author’s own if it reflects the author’s personality. That is the case if the author was able to express his creative abilities in the production of the work by making free and creative choices. … As regards a portrait photograph, the photographer can make free and creative choices in several ways and at various points in its production. In the preparation phase, the photographer can choose the background, the subject’s pose and the lightening. When taking a portrait phoograph, he can choose the framing, the angle of view and the atmosphere created. Finally, when selecting the snapshot, the photographer may choose from a variety of developing techniques the ones he wishes to adopt or, where appropriate, use computer software. By making those various choices, the author of a portrait photograph can stamp the work created with his ‘personal touch’” (ECJ 88-92).

Indeed, Recital 17 of Directive 93/98/EEC states that a photograph is original “if it is the author’s own intellectual creation reflecting his personality, no other criteria such as merit or purpose being taken into account.” Article 6 of the same Directive states that photographs are original if “they are the author’s own intellectual creation.” This directive was repealed by Directive 2006/116/EC, of which Recital 16 reprises the same words than Recital 17.

The TGI then examined the Jimi Hendrix photograph. Gered Mankowitz had explained to the court that

this photograph of Jimi Hendrix, as extraordinary as it is rare, succeeds in capturing a fleeting moment of time, the striking contrast between the lightness of the artist’s smile and the curl of smoke and the darkness and geometric rigor of the rest of the image, created particularly by the lines and angles of the torso and arms. The capture of this unique moment and its enhancement by light, contrasts and the narrow framing of the photograph on the torso and head of Jimi Hendrix reveal the ambivalence and contradictions of this music legend and make the photograph a fascinating work of great beauty which bears the stamp and talent of its author.”

This argument did not convince the TGI as Mr. Mankowitz,

as doing so, satisfied himself by highlighting the aesthetic characteristics of the photography which are distinct from its originality which is indifferent to the merit of the work, and does not explain who the author of the choices made regarding the pose of the subject, his costume and his general attitude. Also, nothing [in this argument] allows the judge and the defendants to understand if these elements, which are essential criteria in assessing the original features claimed, that is, the framing, the use of black and white, the light decor meant to highlight the subject, and the lighting being themselves typical fora portrait photography showing the subject facing, with his waist forward, are the fruit of the reflection of the author of the photograph or the subject, and if the work bears the imprint of the personality of Mr. Mankowitz or of Jimi Hendrix.”

Since the judges are therefore not able to appreciate whether this photograph is indeed original, the TGI ruled hat the photography lacked the originality necessary for its protection by French law, and that “the failure of the description of the characteristic elements of the alleged originality also constitutes a violation of the principle of defense rights.” The TGI thus concluded that Mr. Mankowitz had no intellectual property rights over the photograph.

By doing so, the TGI did not deny that this particular photography of Jimi Hendrix is not original. Rather, the court was not convinced that originality of the work was the result of choices made by Mr. Mankowitz. This case is less about what is an original work than how to prove that a work is indeed original.

As such, this ruling should give pause to French IP practitioners defending the rights of a photographer, as they must now prove why the author chose the different elements of a photograph and how these choices reflect his personality in such a way that the work is original. However, the case will be appealed, and so the debate on what is an original work, and how to prove, it is still ongoing in France.

 

Image is courtesy of Flickr user SarahElizabethC under a CC BY-ND 2.0 license.

This post was originally  published on The 1709 Blog.

French Highest Court “Casse” in Foldable Bag Copyright Infringement Case

This post is about a recent French case which shows that, while French copyright law protects original handbags, explaining what exactly makes a bag original has to be carefully worded, by the parties of course, but for the courts as well. The Cour de cassation, France highest civil court, “broke” (‘casser’) a holding of the Paris Court of appeals which, after having listed the various elements which made a bag original, found no copyright infringement of this bag evenwhile referring to other original elements of the bag.

Longchamp is a French bag and accessories company. Its most famous model is the Pliage bag, a nylon bag which can be folded to fit in a smaller bag (pliage means ‘folding’ in French). Its success led to the creation of a whole range of Pliage bags, which are now available in nylon and leather, may or may not be foldable, and can even be personalized.

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Longchamp discovered in 2010 that bags similar to its Pliage bag were sold online. The company and the original designer of the bag sued the seller and the manufacturer of the bags sold online for copyright infringement. The court of first instance, the Tribunal de Grande Instance de Paris (TGI) rejected their claims. For the TGI, the Pliage bag was indeed protectable, but the defendants had not infringed on any of the plaintiff’s rights. Plaintiffs appealed, but the Paris Court of Appeals confirmed the judgment on September 13, 2013. Longchamp and the Pliage bag designer then took their case to the Cour de cassation.

The Pliage bag is indeed famous. Plaintiffs even claimed on appeal that it is the most copied bag in the world. Appellees did not dispute the originality of the Pliage bag, but argued instead that, because the bag was an original combination of several mundane elements, only this original combination could be protected by copyright, not the separate elements. They further argue that the Pliage bag was a combination of elements ordinarily used by every bag designer, and specific, original characteristics, “namely the specific form of the flap highlighted by the thick stitched sewing, the gold button [closing the snap], highly visible seams on all sides of the leather elements, the combination of brown leather stitched with other materials, and specific proportions.”

The Court of Appeals agreed that the Pliage bag is original, as it combines these elements:

– small flap with snap, located between the two handles and a cap portion of the zipper;

– slightly rounded shape of this little flap, highlighted by a thick stitched sea

  • –  sewing stitches on the front of the bag, in the extension of the flap and evoking the outline of the inner bag;
  • – affixing of the flap on the back of the bag by a double stitched seam;
  • – two handles finishing by rounded edges affixed on each side of the bag opening by affixed tabs;
  • -two small rounded tabs on each end of the zipper which highlight the top corners of the bag, curving upward;
  • – the trapezoidal shape of the body, seen from the front;
  • – the rectangular bottom and
  • –  the triangular profile.

The Court of Appeals then compared the Pliage bag with the allegedly counterfeiting bag and did not find it infringes on Pliage. To come to this conclusion, the Court of Appeals noted that the Appellee’s bag had a wider flap, did not feature stitched seams and did not have a small gold button to snap close the front flap. Also, both flaps had different shapes, and the stitches of Appellee’s bag used the same color than the bag’s overall material, whereas the bag’ s stitches contract in color with the body of the bag. The handles of Appellee’s bag did not feature stitches, and the ending part of the handles had a different shape. Also, both bags had different shape, rectangular for Appellee’s bag and trapezoidal for the Pliage bag.

The Court of Appeals noted that Appellee’s bag would have been counterfeiting the Pliage bag if it had used “the distinguishing characteristics of the combination of Longchamp bag model: the specific form of the flap emphasized by the thick stitched sewing, gold button, highly visible seams on all leather parts, the alliance of brown leather stitched with other materials and colors, the specific proportions, which are the dominant elements of the combination giving the model its originality.”

The Court of Appeals found that Appellee’s bag had “its own physiognomy, a particular aesthetic bias which alter the overall visual impression of this model as compared to the Longchamp bag, which precludes any risk of confusion, especially since the discriminating consumer of the famous Longchamp bag would immediately perceive these differences.” Somehow, the right holders of a famous bag would have to meet an even higher burden of copyright infringement proof because their work is famous.

But the Cour de cassation found that, by this ruling, the Court of Appeals had violated article L. 122-4 of the French IP Code, which makes it illegal to reproduce fully or partially a protected work without authorization of the right holder. For the high court, “the existence of a golden button, the alliance of brown leather stitched with other materials and colors, and the « specific proportions » [of the bag] were not the elements that the Court had chosen to assess the originality of the bag, and also, the existence of a likelihood of confusion is irrelevant to the characterization of the infringement of copyright.”

This last phrase is a welcome addition to the French fashion copyright attorney’s toolbox, especially when defending the rights of famous bags, such as the Pliage, or, say, the Birkin, which would otherwise have to convince courts that the sophisticated clientele would never take a $75 plastic Birkin for the real McCoy. French Copyright does not serve as an indication of the source, but, rather, protects the patrimonial and moral rights of the author of the work.

Image is courtesy of Flickr user Maurina Rara under a CC BY 2.0 license.

This article was first published on The 1709 Blog.

Is Peggy Guggenheim’s Collection a Work of Art Protected by French Copyright?

Daily newspaper Le Monde reported recently about an intriguing case unfolding in the Paris Court of Appeals. The Guardian reported about the case here. The Paris court will have to decide whether the art collection Peggy Guggenheim spent years building should be considered a « œuvre de l’esprit » and, as such, be protected by the French droit d’auteur.

Peggy Guggenheim was an American heiress who spent all her life acquiring and building a contemporary art collection. She donated it, along with her Venetian palace, the Palazzo Venier dei Leoni, to the Solomon R. Guggenheim Foundation, which was created in 1937 by her uncle. Peggy Guggenheim’s collection is now shown at the Palazzo Venier dei Leoni, where Ms. Guggenheim’s ashes are buried. In her autobiography, Peggy Guggenheim expressed her desire to see her collection remain intact in Venice, and that nothing should be touched.3395284181_f8e3e6d4ff_z

Her heirs filed a suit against the Foundation in France, where they live, claiming that the way it is now presenting the collection distorts the way Peggy Guggenheim meant to have it seen. They argue that the collection is not shown in its totality, that the garden has been modified, and that the Palace now boasts a cafeteria, which makes the Foundation a mere extension of the Guggenheim museum. They also consider that organizing parties in the garden where Peggy Guggenheim is buried is akin to violating her tomb.

The Paris Court of the first instance, the Tribunal de Grande Instance, rejected their claim in July 2014 because of res judicata. Indeed, the heirs had already filed suit against the Foundation under the same claim in the 90’s. The heirs had lost, but both parties found an agreement outside the courtroom. The heirs now claim that this agreement has not been respected and again filed suit against the Foundation.

Can an Art Collection be Protected by Intellectual Property?

It remains to be seen if the Court of Paris will debate this issue, as the judges may very well consider that the case has already been judged. If they do consider the case, could French law protect an art collection as a work of the mind?

Article L. 111-1 of the French Intellectual Property Code gives the author of a “œuvre de l’esprit”, a “work of the mind,” exclusive rights over the work. Bernard Edelman, a renowned intellectual property attorney, is representing Peggy Guggenheim’s heirs, and he argued this week that a collection may be considered a work of the mind.

Indeed, the Paris Court of appeals held in 1997 that the “Musée du Cinéma Henri Langlois,” dedicated to the history of cinema, is indeed a work of the mind under French law. It had been entirely the idea of Henri Langlois who had been in sole charge of its design. The Paris Court of Appeals noted in 1997 that:

Henri Langlois ha[d] not only selected the objects and movie projections that form this exhibit but also imagined the presentation following an order and an original scenography; in particular, as reported in several excerpts of articles and publications related to the « Musée du Cinéma, » Henri Langlois conceived the exhibition as a journey back in time in film history, which he staged in a cinematographic way; it is not a simple and methodical presentation of items relating to the history of cinema, but a resolutely personal creation, expressing both the imagination of Henri Langlois and his own conceptions of history of cinema, and reflecting thus his personality.”

Bernard Edelman had published an article in 1998 about this case, where he noted that the Henri Langlois Museum was particularly original as it was not only a collection of works of arts, but also a collection of objects, such as movie artifacts, and that the collection “invites to a kind of journey, a physical ambulation.” Does the Peggy Guggenheim collection invite visitors to such a journey?

Not in the opinion of Pierre-Louis Dauzier, the attorney representing the Guggenheim Foundation, who is quoted in Le Monde as arguing that « it is undeniable that the collector makes choices, he chooses to buy. Peggy Guggenheim was a muse of the art world, she bought a lot to support artists. » But he added that the way she showcased the collection was »very didactic, unoriginal, nothing more than a compilation.” Peggy Guggenheim had « not given an aesthetic sense in which the collection should be presented, » an argument which Bernard Edelman disagreed with, as he produced a plan made by Peggy Guggenheim on how the collection should be presented.

The case will be decided in September.

Ce billet a été publié sur le 1709blog.

Image is courtesy of Flickr user TracyElaine under a CC. BY. 2.0 license.

Vers un Fair Use à la Française ? La Cour de Cassation Va Au-Delà de l’Exception de Parodie

A. Malka est photographe de mode. Trois de ses photographies, représentant le visage maquillé d’une jeune femme, avaient été publiées en décembre 2005 dans un magazine italien. L’artiste Peter K. les reproduisit sans autorisation dans plusieurs de ses œuvres, telle que Blue Face/Red Machine/High Voltage. Les photographies avaient été colorisées en bleu et inclues dans des compositions d’éléments industriels et urbains, tels des panneaux de signalisation et des manettes, selon un thème exploré par l’artiste depuis plus de quarante ans.2929744935_65f38ceff7_z

A. Malka assigna Peter K. en contrefaçon de droit d’auteur, mais le Tribunal de Grande Instance de Paris déclara sa demande irrecevable parce que les photographies ne portaient pas suffisamment l’empreinte de sa personnalité pour pouvoir être protégées par le droit d’auteur et qu’en outre Peter. K. pouvait invoquer l’exception de parodie.

A. Malka fit appel, et la Cour d’appel de Paris (18 septembre 2013, n° 12/02480) condamna Peter K. à 50.000 euros de dommages et intérêts pour atteinte au droit patrimonial et au droit moral d’A. Malka sur ses œuvres. Celui-ci se pourvut en cassation. Le 15 mai dernier, la première Chambre civile de la Cour de cassation cassa l’arrêt de la Cour d’appel de Paris.

Protection des photographies de mode par le droit d’auteur

La Cour d’appel de Paris avait jugé que les photographies d’A. Malka étaient bien protégées par le droit d’auteur. Elles traduisaient « un réel parti pris esthétique empreint de la personnalité de leur auteur » car le photographe avait opéré des choix tels que la mise en évidence de manière excessive de touches de couleur vives contrastant avec un visage très pâle et avait choisi des angles de vue originaux. Peter K. avait argumenté en vain en appel que ces photographies n’étaient pas originales et qu’elles n’étaient que l’expression d’un genre photographique, le « genre glamour ». Il avait repris cet argument en cassation sans plus de succès. La Cour de cassation reconnut bien que les photographies de mode étaient des œuvres protégées par le droit d’auteur.

Liberté d’expression et droit d’auteur

La Cour de cassation cassa néanmoins l’arrêt de la Cour d’appel de Paris, au visa de l’article 10 § 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDH) qui protège le droit à la liberté d’expression. Selon la Cour de cassation, il doit exister un « juste équilibre » entre « la liberté d’expression artistique » de Peter K. et les droits patrimoniaux et moral d’A. Malka.

Pour la Cour d’appel de Paris, si Peter K. était bien

« un artiste connu pour transformer des images comme symboles du goût d’une société pour le confronter à d’autres images qu’elle ne voudrait pas voir, les utilisations litigieuses ne suffisent pas à caractériser l’existence d’une démarche artistique relevant de la parodie alors que Peter K. en fait conservé les représentations du visage du mannequin dans une pose inchangée, sans la priver de l’impact attirant voulu par son auteur, les confrontant seulement à d’autres représentations décalées, généralement d’objets, permettant de s’interroger sur la pertinence de l’attraction induite par l’œuvre première. »

La Cour d’appel avait jugé que puisque les œuvres de Peter K. n’étaient pas la parodie des photographies d’A. Malka, leur utilisation sans autorisation n’était par conséquent pas autorisée par l’exception de parodie, ni, d’ailleurs, par celle de courte citation prévu par l’article L 122-5 2° a) du Code de la propriété intellectuelle, car« les photographies utilisées occupent une place non négligeable dans les œuvres litigieuses ». Pour la Cour d’appel, le fait que Peter K. n’ait pas repris tous les éléments de la photographie originale, par exemple, en ne reproduisant pas la chevelure de la jeune femme photographiée par A. Malka, ne faisait pas de son utilisation des photographies une citation, car il demeurait « la représentation très caractéristique du visage tel que photographié ».

Mais pour la Cour de cassation, c’est à tort que la Cour d’appel avait retenu « que les droits sur des œuvres arguées de contrefaçon ne sauraient, faute d’intérêt supérieur, l’emporter sur ceux des œuvres dont celles-ci sont dérivées, sauf à méconnaître le droit à la protection des droits d’autrui en matière de création artistique » et elle avait ainsi privé de base légale sa décision au regard de l’article 10 § 2.

Cet arrêt de la première Chambre civile est particulièrement intéressant parce qu’il est rendu au visa de l’article 10 § 2 de la CESDH et non celui de l’article L 122-5 4° du Code de la propriété intellectuelle qui autorise l’utilisation d’une œuvre protégée à des fins de parodie, pastiche ou caricature, «  compte tenu des lois du genre ». Le champ d’application de l’article 10 § 2 est bien plus étendu que celui de l’article L 122-5 4°, puisqu’il ne se limite pas à l’autorisation de trois genres, parodie, caricature et pastiche, bridés de surcroit par leurs « lois du genre  », un concept des plus vagues par ailleurs. En effet, l’article 10 § 1 proclame le droit de toute personne à la liberté d’expression, dont l’exercice peut néanmoins être soumis, selon l’article 10 § 2, « à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi [si elles ] constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à (…) la protection (…) des droits d’autrui ». On le voit, il s’agit pour les juges de trouver un juste équilibre entre droit d’expression et droits d’autrui, tel un droit de propriété intellectuelle.

Cet arrêt signale peut-être l’ouverture de la Cour de cassation à un fair use à la française par le biais de la CESDH. Ce serait heureux, car nombreux sont les artistes qui utilisent des œuvres  protégées afin de créer des œuvres nouvelles, depuis Marcel Duchamp qui inventa l’art de l’appropriation. C’est bien le cas de Peter K., qui fait partie du mouvement de la Figuration Narrative. Il avait expliqué devant la Cour d’appel avoir choisi les photographies d’A. Malka car elles étaient, selon lui, un symbole de la publicité et de la surconsommation. Son intention était de modifier ces images publicitaires afin de les détourner de leur fonction première de photographie de mode et de provoquer une réflexion.

L’affaire a été renvoyée devant la Cour d’appel de Versailles. C’est désormais à cette cour de à trouver le « juste équilibre » entre le droit d’auteur d’A. Malka et le droit de Peter K. à s’exprimer par ses œuvres. Si le droit de Peter K. à s’exprimer est jugé supérieur à celui, patrimonial et moral d’A. Malka, la Cour d’appel jugera qu’il n’y a pas contrefaçon. Si, au contraire, le droit moral et les droits patrimoniaux seront jugés supérieurs au droit à la liberté d’expression, il y aura contrefaçon. La Cour de cassation n’a donné aucun vademecum à la Cour d’appel, et c’est pourquoi la lecture des justifications de la décision de la Cour d’appel de Versailles ne manquera pas d’être d’un grand intérêt.

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