Parution: Les blogs juridiques et la dématérialisation de la doctrine

Les blogs juridiques et la dématérialisation de la doctrine vient de paraître chez L.G.D.J.  Ce livre, sous la direction du Professeur Anne-Sophie Chambost, réunit les actes de la journée d’étude organisée par le Centre de Théorie et Analyse du Droit le 16 juin 2014. Je n’avais pas participé à cette journée d’étude, mais le Professeur Chambost m’a fait l’honneur et le plaisir de m’inviter à écrire un chapitre consacré aux blogs juridiques et les règles déontologiques des avocats et des juges aux États-Unis.les-blogs-juridiques-9782275045733

Selon l’éditeur : Par le rapport spécifique que le droit entretient avec l’écrit, le juriste ressemble parfois à un documentaliste juridique, avide des documents qui nourriront son raisonnement. Davantage sans doute que les autres sciences, le droit nourrit (et se nourrit) en effet une relation étroite au texte, et une importante production d’écrits est à la base de la science juridique (lois, normes, décisions de justice, oeuvres de la doctrine…). Or si la littérature scientifique se penche volontiers sur la documentation juridique en général (voir les recherches récentes menées sur les genres doctrinaux, les manuels de droit ou les revues juridiques), elle n’abonde encore que peu au sujet de la documentation juridique électronique : la doctrine commence ainsi à peine à se pencher sur la thématique spécifique de sa dématérialisation.  Si la doctrine reste généralement définie comme une publication éditoriale, il convient sans doute de prolonger la question des supports de la doctrine, laissée en suspens en 2004 par Philippe Jestaz et Christophe Jamin (La doctrine, Dalloz) ; ces auteurs négligeaient en effet la distinction du papier et du numérique, au motif que ce dernier n’avait apparemment pas modifié les genres doctrinaux. Dans un contexte de développement de la numérisation de la documentation juridique, et face à la dématérialisation de la doctrine, l’audience toujours plus forte de certains blogs et la façon dont les institutions judiciaires se sont désormais dotées de sites web, n’oblige-t-elle pas à reconsidérer cette affirmation ? Type spécifique de site web ou composante d’un site plus général, le blog est en effet utilisé à fin de publication d’informations régulières, sous forme d’articles ou de billets généralement succincts, et rendant compte d’une actualité autour d’un sujet ou d’une profession donnés. Face à la prolifération des blogs juridiques, dont l’audience ne semble pas devoir se démentir, l’ambition de ce nouvel ouvrage de la collection Contextes. Culture du droit est de prendre la mesure du rôle que ces supports numériques jouent dans les évolutions actuelles de la doctrine, et de suivre l’évolution de l’écriture du droit à travers le développement de la dématérialisation de la doctrine.

Sous la direction d’Anne-Sophie Chambost, avec les contributions de Pierre-Nicolas Barenot, Hannah Birkenkötter, Hervé Croze, Gilles Devers, Yann-Arzel Durelle-Marc, Gilles J. Guglielmi, Edith Guilhermont, Geneviève Koubi, Roseline Letteron, Jean-Paul Moiraud, Vincent Ramette, Caroline Regad- Albertin, Nicolas Rousseau, Serge Slama, Maximilian Steinbeis et Marie-Andrée Weiss.

USA : Vengeance, Vie Privée, Internet et le Droit

Le revenge porn, la publication non consensuelle d’une image intime à des fins de vengeance, se généralise aux États-Unis à tel point que les législateurs de plusieurs États ont voté, ou songent à voter, des lois criminalisant cette pratique.  

Qu’est-ce que le revenge porn ? Simplement, c’est mettre en ligne des photos dénudées ou à caractère sexuel d’une personne sans que celle-ci ait consenti à leur publication. Cette pratique est nommée revenge porn parce que, dans la plupart des cas, ces images ont été publiées par un(e) ancien(ne) fiancé(e) ou époux/épouse  afin de se venger de la victime. Bien que les victimes soient en grande majorité des femmes, il arrive que des hommes soient victimes de ce crime.

Des sites web se sont fait une spécialité de permettre la publication de ces photos. Ils offrent en outre la possibilité d’indiquer l’identité de la victime, son adresse et son lieu de travail. Le site Is Anyone Up ?, qui n’est plus en ligne, permettait même à ses utilisateurs de poster un lien vers le compte Facebook ou Twitter de la victime.

Il est facile de trouver ces images par le biais des moteurs de recherche. Des  employeurs potentiels, des  amis, découvrent ces photos. Des inconnus aussi, qui contactent parfois la victime pour lui demander des faveurs sexuelles ou pour l’insulter. En plus de souffrir une humiliation publique, les victimes sont parfois harassées sur les réseaux sociaux ou dans leur vie quotidienne.

Les Lois Actuellement en Vigueur

La loi du New Jersey et celle du Texas qui permettent de poursuivre les auteurs de revenge porn sont des lois qui répriment de manière générale la publication de photographies à caractère sexuel sans le consentement de la personne prise en photo. Les deux lois ont pour but de réprimer le voyeurisme et considèrent que de tels actes portent atteinte à la vie privée de la victime.

La section 21.15(b)(2)A)(i) du Code pénal du Texas a un champ d’application limité, car elle réprime uniquement fait de photographier, de filmer, ou de transmettre l’image d’une personne prise dans une cabine d’essayage (private dressing room) sans le consentement de cette personne et avec l’intention de porter atteinte à sa vie privée.

La loi du New Jersey, Title 2C : 14-9 du New Jersey Code of Criminal Justice, a été votée en 2004. Elle a un champ d’application plus vaste car elle réprime de manière générale le fait de publier sans permission des photos intimes ou à caractère sexuel et non le cas particulier du revenge porn. Ce délit peut être puni par une amende de 30,000 dollars.

Une loi criminelle spéciale est- elle nécessaire ? Plusieurs propositions de loi sont examinées par quelques États, mais aucune loi fédérale n’est à l’étude.

L’article 647(j)(4) du Code pénal de la Californie incrimine depuis octobre dernier le fait de « photographier ou d’enregistrer, par quelque moyen que ce soit, l’image ou des images d’une partie intime du corps d’une personne identifiable , dans des circonstances telles que les deux personnes sont d’accord ou comprennent que cette image doit rester privée, et que la personne [qui a pris la photographie ou l’enregistrement] distribue ensuite l’image ainsi prise, avec l’intention de causer de graves troubles émotionnels et la personne ainsi représentée souffre de graves détresse émotionnelle. »

L’auteur a du avoir l’intention de causer de graves troubles émotionnels et la victime doit en avoir souffert en raison du revenge porn. Prouver ces graves troubles émotionnels est sans doute possible car les victimes souffrent souvent de dépression ou d’autres troubles psychologiques. En revanche, prouver l’intention de provoquer ces troubles sera difficile à prouver en pratique.

Lors de la discussion devant le Sénat de la Californie, les sénateurs ont supprimé l’incrimination de la publication d’une image si cela « causerait des souffrances à une personne raisonnable », ce qui aurait donné à la loi un champ d’application bien plus large.

Les Propositions de Loi  

Des députés du Wisconsin ont déposé le 22 octobre dernier une proposition de loi visant à criminaliser le revenge porn. Elle a été adoptée par l’Assemblée le 12 novembre et va maintenant être examinée par le Sénat du Wisconsin.

La proposition de loi réprime la reproduction, distribution ou diffusion de la représentation d’une personne dévêtue, partiellement dévêtue, ou bien engagée dans un acte sexuel, sans son consentement. Le consentement à être prit en photo ou filmé n’est pas un moyen de défense.

C’est là l’ambigüité du crime. A moins que la photographie n’ait été prise subrepticement, la victime a consentie à être prise en photo dénudée, mais elle n’a pas consentie à sa publication.

C’est ce que met en relief une proposition de loi (A08214) déposée par un Sénateur et un Représentant de New York le 24 octobre dernier. Elle criminaliserait la «divulgation non consensuelle d’images sexuellement explicites d’une personne sans son consentement  dans des circonstances que cette personne peut raisonnablement penser font partie de sa vie privée [reasonable expectation of privacy].

Si cette personne a consenti à se faire prendre ainsi en photo/vidéo dans le cadre d’une relation intime ou confidentielle, elle conserverait  le droit de s’opposer à la divulgation de ces images intimes en dehors de cette relation intime.

En outre, la proposition de loi de New York  incrimine la publication de ces images (disclosure) sans distinguer qui est leur auteur.

En effet, ce sont souvent les victimes qui se sont prises en photo ou bien en vidéo et ont envoyé leur « selfie », leur autoportrait digital, à un tiers avec qui elles ont une relation sentimentale et/ou sexuelle.

Mais la loi californienne n’incrimine pas  le fait de mettre en ligne des photos intimes qui ont été prises par la victime elle-même.

Il faut y voir non un oubli masi un choix des législateurs, qui hésitent à donner un recours judiciaire aux  victimes du revenge porn qui ont créé le moyen de commettre le délit.

Le Droit du…Copyright

Les victimes qui ont prises elles-mêmes leur photographie ne sont pas sans recours, mais, curieusement, c’est le droit d’auteur qui peut leur permettre d’exiger des sites de revenge porn de retirer ces images. En effet, une loi fédérale de 1998, le Digital Millenium Copyright Act (DMCA), offre aux titulaires du copyright d’une œuvre le droit d’exiger des fournisseurs d’hébergements de retirer le contenu portant atteinte à leurs droits, à moins de souffrir des conséquences légales de leur manquement.

Selon le droit du copyright, l’auteur du selfie ne perd pas ses droits d’auteurs en envoyant la photographie à un tiers. Si celui-ci publie ensuite cette photo sans permission sur un site de revenge porn, l’auteur de la photo peut exiger du site de la retirer en envoyant un DMCA take down notice, une technique simple et peu coûteuse.

Mais les images peuvent être publiées et republiées d’un seul clic, et la victime doit envoyer non une ou deux DMCA take down notice, mais dix, vingt, cent… En outre, si l’image litigieuse n’est pas un autoportrait, la responsabilité de l’hébergeur ne peut être engagée, car le principe général, depuis une loi fédérale de 1996, la section 230 du Communications Decency Act, est celle de l’irresponsabilité des hébergeurs.

Le Premier Amendement à la Constitution

L’auteur du revenge porn pourrait invoquer en outre avec succès le Premier Amendement à la Constitution qui interdit au Congrès de voter des lois restreignant la liberté d’expression. Si une loi a un champ d’application si large qu’elle criminalise ce qui est considéré comme information (speech), elle peut être déclarée contraire à la Constitution ou bien contraire à la Constitution en ce qui concerne cette information particulière.

Les images de revenge porn peuvent ou non être protégés par le Premier Amendement, selon les cas. Le Premier Amendement ne protège pas les images « obscènes » (obscenity), mais toute photo sexuelle, même graphique, n’est pas forcement considérée comme obscène. La Cour Suprême a défini l’obscénité en 1973 dans Miller v. California : le message obscène « pris dans son ensemble » doit « faire appel aux intérêts lubriques » (prurient interests) et doit en outre n’avoir aucune valeur littéraire, artistique, politique ou scientifique sérieuse. On le voit, la définition n’est pas claire et ouvre à interprétation.

C’est pourquoi il serait possible d’invoquer le Premier Amendement comme moyen de défense, d’autant plus que ni la loi californienne, ni les projets de loi des différents États ne contiennent une exception à la poursuite de l’infraction afin de protéger le droit à l’information (newworthy exception ).

Les États-Unis ne sont pas seuls à légiférer en ce domaine. Le Canada songe à ajouter un article  162.1  dans son Code criminel :

(1) Quiconque sciemment publie, distribue, transmet, vend ou rend accessible une image intime d’une personne, ou en fait la publicité, sachant que cette personne n’y a pas consenti ou sans se soucier de savoir si elle y a consenti ou non, est coupable :   

a) soit d’un acte criminel passible d’un emprisonnement maximal de cinq ans;  

 b) soit d’une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. 

2) Au présent article, « image intime » s’entend d’un enregistrement visuel — photographique, filmé, vidéo ou autre — d’une personne, réalisé par tout moyen, où celle-ci :   Définition de « image intime »

 a) y figure nue, exposant ses seins, ses organes génitaux ou sa région anale ou se livrant à une activité sexuelle explicite;  

 b) se trouvait, lors de la réalisation de cet enregistrement, dans des circonstances pour lesquelles il existe une attente raisonnable de protection en matière de vie privée;  

 c) a toujours cette attente raisonnable de protection en matière de vie privée à l’égard de l’enregistrement au moment de la perpétration de l’infraction. 

Le débat sur le revenge porn est ouvert en Amérique du Nord…