Suppression de la Peine Complémentaire de Suspension de l’Accès à Internet

Le décret n° 2013-596 du 8 juillet 2013 a été publié aujourd’hui au Journal Officiel et entrera en vigueur demain, le 10 juillet.  

Il supprime l’alinéa III de l’article R-335 du Code de Propriété Intellectuelle (CPI) qui avait été créé par le décret n°2010-695 du 25 juin 2010. Selon cet alinéa, une personne titulaire d’un accès à des services de communication au public en ligne coupable de négligence caractérisée, pouvait voir sa connexion à Internet supprimée

L’alinéa I de l’article R-335 du CPI , qui n’est pas aboli, définit la négligence caractérisée comme le fait, sans motif légitime de n’avoir pas mis en place un moyen de sécurisation de son accès à Internet ou d’avoir manqué de diligence dans la mise en œuvre de ce moyen, après demande de l’HADOPI de sécuriser la connexion avant de prévenir son utilisation pour télécharger illégalement des œuvres protégées par le droit d’auteur.

Désormais, avec la suppression de la peine complémentaire de suspension de l’accès à internet, les titulaires d’un accès à Internet n’auront pas à souffrir de la suppression de leur connexion à Internet qui pouvait durer jusqu’à un mois maximum.

La suppression de la peine complémentaire par le décret est heureuse, car la suppression à l’accès à Internet ne doit pas constituer une peine. Il est important de pouvoir conserver son droit à avoir une connexion Internet, qui pourrait même prochainement être considéré un droit de l’homme.

En effet, le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies a voté le 29 juin 2012 un projet de résolution sur la promotion, la protection et l’exercice des droits de l’homme sur l’Internet. Selon son article 3 engage tous les États à promouvoir et faciliter l’accès à l’Internet en raison de son importance pour la liberté d’expression.

Le Conseil de l’Europe a voté en mai 2009 une résolution dite « de Reykjavik ». Son paragraphe 5 affirme qu’internet est « un outil essentiel pour les activités quotidiennes » et que les citoyens « s’attendent donc à ce que les services internet soient accessibles, abordables, sécurisés, fiables et continus. Leur accès concerne aussi la jouissance des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi que l’exercice de la citoyenneté démocratique. »

 

 

Conseil Constitutionnel: l’ARCEP ne doit pas disposer d’un pouvoir de sanction

Le Conseil Constitutionnel (CC), a décidé  aujourd’hui que l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) ne doit pas disposer d’un pouvoir de sanction (Décision n° 2013 – 331 QPC).

L’ARCEP, créée par la loi n° 96-659 du 26 juillet 1996, a pour mission la régulation du secteur des télécommunications. La loi n° 2004-669 du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et aux services de communication audiovisuelle lui a en outre confié la régulation des fournisseurs d’accès à interne et des opérateurs de transport de données.

L’ARCEP avait pris le 4 novembre 2010 une décision afin de régler un différend entre les sociétés Numéricâble et France Telecom. Lorsque les sociétés Numéricâble prirent du retard dans l’exécution de cette décision de règlement, l’ARCEP prononça une sanction contre elles le 20 décembre 2011, comme l’autorisait l’article L.36-11 du CPCE. Cette sanction était lourde, une amende de 5 millions d’euros.

Les sociétés Numéricâble déposèrent une requête en annulation de la décision de l’ARCEP devant le Conseil d’État, qui saisit le CC le 29 avril 2013 d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur la conformité à la Constitution de l’article L. 36-11 du CPCE.

La QPC portait en particulier sur les principes d’indépendance et d’impartialité garantis par la Constitution, et demandait si l’article L. 36-11 du CPCE garantit bien la séparation des fonctions de poursuite, d’instruction et de jugement au sein de l’ARCEP.

En effet, les douze premiers alinéas de l’article L. 36-11 du CPE donnent à l’ARCEP le pouvoir de sanctionner certains manquements d’exploitants de réseaux ou de fournisseurs de communications électroniques aux lois et aux règlements concernant leurs activités ou aux décisions prises pour en assurer la mise en œuvre. Ils donnent également l’ARCEP un pouvoir de sanction pouvant aller jusqu’à la suspension totale ou partielle, pour un mois ou plus, du droit d’établir ou de fournir un réseau de communication électroniques.

Les sociétés Numéricâble avaient argué que ces dispositions ne garantissaient pas la séparation des pouvoirs de poursuite et d’instruction au sein de l’ARCEP et qu elles portaient ainsi atteinte aux principes d’indépendance et d’impartialité garantis par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (DDH).

Si l’article L. 36-11 confie au directeur général de l’ARCEP l’exercice des poursuites devant celle-ci, ce directeur général est nommé par le Président de l’ARCEP et est placé sous son autorité. En outre, il assiste aux délibérations de l’ARCEP.

C’est pourquoi, selon le CC, les douze premiers alinéas de l’article L. 36-11 du CPCE n’assurent pas la séparation fonctions de poursuite et d’instruction des fonctions de jugement au sein de l’ARCEP et méconnaissent ainsi le principe d’impartialité. Par conséquent, ces dispositions ont été déclarées contraires à la Constitution.

Le principe d’indépendance et d’impartialité

Le principe d’indépendance et d’impartialité des juges est protégé par l’article 16 DDH :  

« Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ».

Le CC avait affirmé dès 1970 la valeur constitutionnelle du principe d’indépendance des juges dans sa Décision n° 70-40 DC du 09 juillet 1970 à propos de la loi organique relative au statut des magistrats.

Mais les juges ne sont pas seuls à exercer une activité juridictionnelle. Les autorités administratives indépendantes, telles la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL), la Commission d’Accès aux Documents Administratifs (CADA), ou l’ARCEP, peuvent également exercer des fonctions juridictionnelles.

 Le Conseil d’État a ainsi reconnu en 2008 à la CNIL « eu égard à sa nature, à sa composition et à ses attributions [le statut] de tribunal au sens de l’article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales » (CE référé, 19-02-2008, n° 311974, Société Profil France).

En effet, l’article 6 §1 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, consacre le droit à un tribunal indépendant et impartial. Cet article 6 §1 n’a pas été cité par le CC dans cette décision. La Cour Européenne des Droits de l’Homme admet la légalité de l’activité juridictionnelle des autorités indépendantes s’il est possible pour le justiciable de saisir de toute décision prise à son encontre un tribunal offrant les garanties de l’article 6 (CEDH 21 février 1984, Öztürk c. Allemagne).

Dans sa Décision n° 2012-280 QPC du 12 octobre 2012, rendue à propos de l’organisation et du pouvoir de sanction de l’Autorité de la concurrence, le CC avait jugé qu’une autorité administrative indépendante peut exercer un pouvoir de sanction dans la mesure nécessaire à l’accomplissement de sa mission si l’exercice de ce pouvoir est assorti par la loi de mesures destinées à assurer la protection des droits et libertés garantis par la Constitution. 

 Le gouvernement français a indiqué dans un communiqué qu’il allait faire des propositions afin de rétablir les pouvoirs de sanction de l’ARCEP tout en respectant la Constitution.