Comment prouver la qualité d’auteur de modèles créés directement sur le mannequin ?

Nous avons vu la semaine dernière qu’il est important pour un styliste de mode de documenter son procédé de création afin de pouvoir prouver avoir créé un modèle de vêtement ou d’accessoire et de signer ses dessins et ses croquis.

Comment prouver sa qualité d’auteur si le styliste crée directement le modèle sur le mannequin, sans faire de croquis ? Un arrêt de la Cour d’appel (CA) de Paris du 26 février 2021 nous apporte des éléments de réponse.

Dans cette affaire, une styliste, MJ, avait créé en 1980, avec ses deux sœurs, une SAS, la société C., dont l’activité était la création et la vente de robes de mariées et de leurs accessoires. Les robes étaient vendues dans ses boutiques propres, par des franchisés, et par des revendeurs multi-marques.

MJ avait pris sa retraite en 2013. La société C. avait fait l’objet, l’année suivante, d’une procédure de liquidation judiciaire, suite à laquelle un plan de cession au profit la société CF avait été arrêté. Ce plan comprenait notamment la reprise des droits de propriété intellectuelle attachés aux dessins et modèles, qu’ils soient ou non déposés, ainsi que des patrons des robes créées par la société C.

MJ et ses sœurs avaient créé une nouvelle maison de couture, AE, en 2016, qui vend des robes de mariées créées par MJ. CF estima que cette activité constituait une concurrence déloyale et assigna MJ, ses sœurs, et la société AE, devant TGI de Fontainebleau, qui rejeta la demande.

MJ forma alors une demande reconventionnelle en contrefaçon de droit d’auteur sur plusieurs modèles de robes de mariées commercialisées par CF, alléguant les avoir créées après son départ de la société C. Le TGI de Paris rejeta sa demande et MJ interjeta appel.

La société CF invoqua en défense la présomption prétorienne de titularité des droits d’auteur au profit de la personne morale, selon laquelle « l’exploitation non équivoque d’une œuvre par une personne physique ou morale, sous son nom et en l’absence de revendication du ou des auteurs, fait présumer à l’égard du tiers recherché pour contrefaçon, que cette personne est titulaire sur l’œuvre, qu’elle soit ou non collective, du droit de propriété incorporelle de l’auteur » (Cass. Civ. 1ère, 10 juillet 2014).

La société CF alléguait avoir exploité sans équivoque les robes de mariées en cause et qu’elle en avait acquis les droits patrimoniaux en tant que cessionnaire du fonds de commerce de la société C.  

Toutefois, la personne morale doit exploiter de façon paisible et non équivoque une œuvre de l’esprit sous son nom pour être présumée titulaire des droits d’auteur, et ce n’était pas le cas en l’espèce puisque MJ alléguait être l’auteur des robes de mariée.

La CA de Paris examina les preuves présentées par les parties afin de déterminer qui est l’auteur des modèles de robes de mariés. C’est sur ce point que l’arrêt du 26 février est intéressant, car il montre de quelle manière il est possible de prouver la qualité d’auteur de modèles créés directement sur le mannequin.  

MJ produisit devant la CA de Paris « de nombreuses attestations d’anciens salariés de la société C. ou d’intervenants extérieurs en qualité de ‘free lance’ ». Ces attestations :  

« présent[aient] MJ comme la créatrice des collections de la société C., ses plus proches collaborateurs confirmant par des propos précis et circonstanciés que celle-ci travaillait seule à la création des modèles sans établir de croquis, créant directement sur le mannequin pour établir les toiles et patronages du modèle. »

La CA de Paris releva en outre que des dessins et modèles de l’Union européenne d’autres modèles de robes de mariée, qui avaient été effectués par la société C. en mai 2013, mentionnaient MJ en qualité de créateur.

MJ a ainsi bien pu démontrer avoir créé les modèles de robe de mariées en cause, « ce quand bien même elle ne fournit au débat aucun croquis, celle-ci créant directement sur le mannequin comme en témoignent de nombreuses personnes. »

Les stylistes bénéficieront sans doute de conserver des relations avec leurs anciens collègues, et de ne pas créer les modèles toutes portes fermées…  

Cour d’appel de Paris, pôle 5, 2e ch., 26 février 2021, 19/15130 (D20210009) – (Confirmation partielle TGI Paris, 16 mai 2019, 16/17063)

La référence de l’image est (Domaine Public).

Est-il possible de protéger un élément décoratif d’un sac ?

Un récent arrêt de la cour d’appel de Paris, CA Paris, Pôle 5, ch.2, 22 septembre 2017, n°16/14152, montre les difficultés que peuvent rencontrer les entreprises de mode souhaitant protéger leurs créations par le droit des marques, en particulier si elles ne peuvent bénéficier de la protection du droit d’auteur.

La société Balenciaga avait poursuivi pour contrefaçon de droit d’auteur et de marque une société de distribution de produits de maroquinerie qui avait importé en France des sacs, retenus en douane pour contrefaçon de sacs Balenciaga.

Une poche ornementale orne les sacs Balenciaga ‘Baby Daim’,‘Classic Sunday’ et ‘Classic Tool’. Cet empiècement avait été apposé pour la première fois sur le sac ‘First’, créé en août 2001 par Nicolas Ghesquière, alors directeur artistique de Balenciaga, modèle qui fut ensuite décliné dans une gamme de sacs portant tous cet empiècement.

Balenciaga avait enregistré en 2013 cet empiècement en classe 18 en tant que marque figurative, décrite comme « constituée d’une poche ornementale comprenant une fermeture éclair, une lanière et une seconde pièce intérieure revêtue de deux rivets, ainsi que de deux pièces aux extrémités droite et gauche, comprenant chacune une boucle et deux rivets ».

Le tribunal de grande instance de Paris avait déclaré le 23 juin 2016 les demandes de Balenciaga au titre du droit d’auteur irrecevables et avait en outre annulé la marque figurative pour défaut de distinctivité. Balenciaga avait interjeté appel.

La cour d’appel reconnut bien que les sacs ‘Baby Daim’ et ‘Revers’ sont protégés par le droit d’auteur car la combinaison de leurs éléments, tels que décrits par Balenciaga, le choix des éléments de la poche, ainsi que leur positionnement sur cette poche, étaient des choix purement arbitraires, relevant d’un parti pris esthétique portant l’empreinte de la personnalité de l’auteur et étaient par conséquent protégés par le droit d’auteur.

Tel n’est pas toujours le cas pour les sacs. La cour d’appel de Paris avait ainsi refusé, le 29 novembre 2016, CA Paris, Pôle 5, ch.1re, 29 novembre 2017, n°15/08734, la protection du droit à un modèle de sac dont les caractéristiques revendiquées par l’auteur, telles sa forme rigide matérialisée par ses côtés de forme quasi-rectangulaire et son système de fermeture à baguettes rectangulaires, « existaient déjà, isolées ou combinées entre elles, dans l’art antérieur et leur combinaison, banale » et qu’ainsi ne procédaient d’aucun apport créatif.

La Cour d’appel n’apprécia pas si les sacs ‘Classic Sunday’ et ‘Classic Tool’ étaient bien originaux car Balenciaga n’avait pas démontré leur divulgation. Rappelons que l’auteur d’une œuvre ne peut être qu’une personne physique, et qu’il est présumé que l’auteur est celui sous le nom duquel l’œuvre est divulguée. Mais l’exploitation de l’œuvre par une personne morale, sous son nom, fait présumer qu’elle est en l’auteur à l’égard des tiers recherchés en contrefaçon, à moins que la qualité d’auteur ne soit revendiquée par des tiers, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.

La cour d’appel ne reconnut pas toutefois que les sacs importés et saisis en douane contrevenaient au droit d’auteur de Balenciaga car ils ne donnent pas une impression visuelle identique. La cour d’appel ne reconnut pas non plus que Balenciaga était investi des droits d’auteur sur l’empiècement de ces sacs car il n’en est qu’un élément ornemental et ne pouvait être distingué des sacs eux-mêmes comme œuvre propre.

Balenciaga avait enregistré cet empiècement comme marque figurative en France, mais la cour d’appel de Paris confirma l’annulation de la marque, car elle est dépourvue de caractère distinctif et qu’ainsi ne peut permettre aux consommateurs de distinguer l’origine du produit. L’empiècement a «  un caractère purement fonctionnel et décoratif » mais n’a jamais rempli de fonction de marque. Cet empiècement est toujours protégé comme marque aux Etats-Unis.

French Highest Court “Casse” in Foldable Bag Copyright Infringement Case

This post is about a recent French case which shows that, while French copyright law protects original handbags, explaining what exactly makes a bag original has to be carefully worded, by the parties of course, but for the courts as well. The Cour de cassation, France highest civil court, “broke” (‘casser’) a holding of the Paris Court of appeals which, after having listed the various elements which made a bag original, found no copyright infringement of this bag evenwhile referring to other original elements of the bag.

Longchamp is a French bag and accessories company. Its most famous model is the Pliage bag, a nylon bag which can be folded to fit in a smaller bag (pliage means ‘folding’ in French). Its success led to the creation of a whole range of Pliage bags, which are now available in nylon and leather, may or may not be foldable, and can even be personalized.

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Longchamp discovered in 2010 that bags similar to its Pliage bag were sold online. The company and the original designer of the bag sued the seller and the manufacturer of the bags sold online for copyright infringement. The court of first instance, the Tribunal de Grande Instance de Paris (TGI) rejected their claims. For the TGI, the Pliage bag was indeed protectable, but the defendants had not infringed on any of the plaintiff’s rights. Plaintiffs appealed, but the Paris Court of Appeals confirmed the judgment on September 13, 2013. Longchamp and the Pliage bag designer then took their case to the Cour de cassation.

The Pliage bag is indeed famous. Plaintiffs even claimed on appeal that it is the most copied bag in the world. Appellees did not dispute the originality of the Pliage bag, but argued instead that, because the bag was an original combination of several mundane elements, only this original combination could be protected by copyright, not the separate elements. They further argue that the Pliage bag was a combination of elements ordinarily used by every bag designer, and specific, original characteristics, “namely the specific form of the flap highlighted by the thick stitched sewing, the gold button [closing the snap], highly visible seams on all sides of the leather elements, the combination of brown leather stitched with other materials, and specific proportions.”

The Court of Appeals agreed that the Pliage bag is original, as it combines these elements:

– small flap with snap, located between the two handles and a cap portion of the zipper;

– slightly rounded shape of this little flap, highlighted by a thick stitched sea

  • –  sewing stitches on the front of the bag, in the extension of the flap and evoking the outline of the inner bag;
  • – affixing of the flap on the back of the bag by a double stitched seam;
  • – two handles finishing by rounded edges affixed on each side of the bag opening by affixed tabs;
  • -two small rounded tabs on each end of the zipper which highlight the top corners of the bag, curving upward;
  • – the trapezoidal shape of the body, seen from the front;
  • – the rectangular bottom and
  • –  the triangular profile.

The Court of Appeals then compared the Pliage bag with the allegedly counterfeiting bag and did not find it infringes on Pliage. To come to this conclusion, the Court of Appeals noted that the Appellee’s bag had a wider flap, did not feature stitched seams and did not have a small gold button to snap close the front flap. Also, both flaps had different shapes, and the stitches of Appellee’s bag used the same color than the bag’s overall material, whereas the bag’ s stitches contract in color with the body of the bag. The handles of Appellee’s bag did not feature stitches, and the ending part of the handles had a different shape. Also, both bags had different shape, rectangular for Appellee’s bag and trapezoidal for the Pliage bag.

The Court of Appeals noted that Appellee’s bag would have been counterfeiting the Pliage bag if it had used “the distinguishing characteristics of the combination of Longchamp bag model: the specific form of the flap emphasized by the thick stitched sewing, gold button, highly visible seams on all leather parts, the alliance of brown leather stitched with other materials and colors, the specific proportions, which are the dominant elements of the combination giving the model its originality.”

The Court of Appeals found that Appellee’s bag had “its own physiognomy, a particular aesthetic bias which alter the overall visual impression of this model as compared to the Longchamp bag, which precludes any risk of confusion, especially since the discriminating consumer of the famous Longchamp bag would immediately perceive these differences.” Somehow, the right holders of a famous bag would have to meet an even higher burden of copyright infringement proof because their work is famous.

But the Cour de cassation found that, by this ruling, the Court of Appeals had violated article L. 122-4 of the French IP Code, which makes it illegal to reproduce fully or partially a protected work without authorization of the right holder. For the high court, “the existence of a golden button, the alliance of brown leather stitched with other materials and colors, and the « specific proportions » [of the bag] were not the elements that the Court had chosen to assess the originality of the bag, and also, the existence of a likelihood of confusion is irrelevant to the characterization of the infringement of copyright.”

This last phrase is a welcome addition to the French fashion copyright attorney’s toolbox, especially when defending the rights of famous bags, such as the Pliage, or, say, the Birkin, which would otherwise have to convince courts that the sophisticated clientele would never take a $75 plastic Birkin for the real McCoy. French Copyright does not serve as an indication of the source, but, rather, protects the patrimonial and moral rights of the author of the work.

Image is courtesy of Flickr user Maurina Rara under a CC BY 2.0 license.

This article was first published on The 1709 Blog.