Don du Sang & Homosexualité : Légalité de la Conservation des Données Sans le Consentement du Donneur

La Chambre criminelle de la Cour de cassation a rejeté le 8 juillet 2015 un pourvoi contre un arrêt de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris du 18 avril 2013, qui avait confirmé une ordonnance de non-lieu du juge d’instruction dans une affaire où un homme avait porté plainte pour discrimination sexuelle après que son don du sang ait été refusé par deux hôpitaux parisiens en raison de son homosexualité.PC042307

Laurent X. souhaitait faire don de son sang en 2004, mais ce don fut refusé par l’hôpital Saint-Louis de Paris en raison de l’homosexualité du donneur. Un autre établissement hospitalier de la capitale refusa également le don en 2006, expliquant à Mr. X. qu’il était référencé sous le code « FR 08 »correspondant à la catégorie « homosexuel ».

Mr. X. déposa plainte pour discrimination à raison de l’orientation sexuelle, réprimé par les articles 225-1 à 225-3 du Code pénal. Le juge d’instruction rendit une ordonnance de refus d’informer, car, selon lui, le don de sang n’est pas la fourniture d’un bien ou d’un service au sens de l’article 225-2 2 du Code pénal selon lequel la discrimination consiste à refuser la fourniture d’un bien ou d’un service.

En appel, la chambre de l’instruction infirma l’ordonnance au motif que le juge d’instruction aurait du vérifier si la mise et la conservation en mémoire de données à caractère personnel touchant à l’orientation sexuelle sans le consentement de l’intéressé étaient autorisées par la loi. En effet, l’article 226-19 du Code pénal punit de cinq ans d’emprisonnement et de 300 000 € d’amende « le fait, hors les cas prévus par la loi, de mettre ou de conserver en mémoire informatisée, sans le consentement exprès de l’intéressé, des données à caractère personnel qui, directement ou indirectement, (…)  sont relatives à  (…)[l’]identité» sexuelle [des personnes] ».

Le juge rendit une ordonnance de non-lieu. Mr. X. releva appel, mais l’ordonnance de non-lieu fut confirmée par la chambre de l’instruction qui écarta l’article 226-19 du Code pénal, en se fondant sur l’article L. 1223-3 du code de la santé publique et l’arrêté du 10 septembre 2003 du ministre de la santé publique, relatif aux bonnes pratiques en matière de transfusion sanguine, pour dire l’incrimination prévue par l’article 226-19 du code pénal n’était pas applicable à l’espèce. Selon l’Annexe II de l’arrêté du 12 janvier 2009 fixant les critères de sélection des donneurs de sang, avoir eu, pour un homme, des rapports sexuels avec un homme, est une contre-indication permanente au don du sang.

Mr. X. se pourvu en cassation et posa en outre une question prioritaire de constitutionalité qui fut transmise par la Cour de cassation au Conseil constitutionnel. Selon Mr. X. ,en faisant exception à l’obligation de recueillir le consentement exprès d’une personne désireuse de donner son sang avant de conserver en mémoire informatisée des données à caractère personnel relatives à la santé et l’orientation sexuelle de cette dernière, les dispositions combinées des articles 226-19 du code pénal et de l’article L. 1223-3 du code de la santé publique méconnaissent le principe de légalité des délits et des peines, l’exigence de prévisibilité de la loi, garantis par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ainsi que l’exigence constitutionnelle de consentement à la captation et à la conservation de données personnelles, garantie par l’article 2 de la Déclaration de 1789.

Le Conseil constitutionnel se prononça par la négative. Selon lui, les dispositions de l’article L. 1223-3 du code de la santé publique n’ont pas pour objet de définir une exception à l’article 226-19 du Code pénal. Ces exceptions sont définies, « en particulier », par l’article 8 de la loi du 6 janvier 1978, dont l’alinéa 1 interdit la collecte des données à caractère personnel relatives à la santé ou à la vie sexuelle des personnes, et dont l’alinéa 2 énumère les exceptions à ce principe, parmi lesquels « les traitements nécessaires aux fins de la médecine préventive, des diagnostics médicaux, de l’administration de soins ou de traitements, ou de la gestion de services de santé». Le Conseil constitutionnel avait déclaré conforme à la Constitution l’article 8 de la loi du 6 janvier 1978 (décision du 29 juillet 2004).

Dans notre espèce, la Cour de cassation rappela tout d’abord que la chambre de l’instruction avait vérifié le protocole suivi par l’hôpital, qui avait bien informé Mr. X. de la nécessité de collecter certaines informations sensibles afin de protéger la santé des transfusés.

La Cour de cassation souligna que, si s’était bien à tort que la chambre de l’instruction s’était fondée sur l’article L. 1223-3 du code de la santé publique pour dire que l’article 226-19 du code pénal ne s’appliquait pas en l’espèce, sa décision n’encourrait néanmoins pas la cassation, car l’article 8 de la loi du 6 janvier 1978 s’applique en l’espèce, et elle rejeta le pourvoi en cassation. Selon la Cour de cassation :

« l’exception à l’exigence d’un consentement de la personne à l’enregistrement et à la conservation de données personnelles relatives à la santé ou à l’orientation sexuelle, qui découle des dispositions combinées des articles 226-19 du code pénal et 8 de la loi du 6 janvier 1978, constitue une mesure légitime, nécessaire à la protection de la santé, définie par la loi avec suffisamment de précision pour éviter l’arbitraire, et de nature à assurer, en l’état, entre le respect de la vie privée et la sauvegarde de la santé publique, une conciliation qui n’est pas déséquilibrée. »

Mr. X. a décidé de saisir la Cour européenne des droits de l’homme.

 

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