Le Conseil d’État rappelle que les opinions qui choquent sont protégées par la liberté d’expression

Le 2 février 2017, au cours de sa chronique sur RTL Matin, On n’est pas forcément d’accord, Éric Zemmour avait tenu des propos qui avaient attiré l’attention du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA).

L’animateur avait salué la nomination par Donald Trump de Neil Gorsuch à la Cour Suprême des États-Unis et avait argumenté que le nouveau juge allait mettre fin à la pratique de la Cour suprême de « tordre le texte de la Constitution américaine pour lui faire dire ce qu’elle ne disait pas ». Zemmour reprochait à la Cour suprême d’avoir « imposé leur idéologie progressiste au peuple américain (…),  ce putsch judiciaire (…) qui s’appelle non-discrimination ».

L’animateur avait continué en reprochant à la Cour européenne des droits de l’homme, au Conseil constitutionnel et au Conseil d’État d’avoir « fait exactement la même chose que la Cour suprême. Le même putsch judiciaire, le même fétichisme de la non-discrimination, la même déclaration des droits de l’homme tordue dans tous les sens».

RTL est une radio privée et doit par conséquent passer une convention avec le CSA, au nom de l’État, en vertu de l’article 28 de la loi du 30 septembre 1986.

L’article 42 de la loi du 30 septembre 1986 donne en outre au CSA le pouvoir de mettre en demeure « les éditeurs et distributeurs de services de communication audiovisuelle de respecter les obligations qui leur sont imposées par les textes législatifs et réglementaires et par les principes définis aux articles 1er et 3-1 ».

L’assemblée plénière du CSA avait rendu une décision le 14 juin 2017, qui avait mis en demeure RTL radio de respecter les stipulations de la convention passée avec le CSA.

Le CSA, selon les termes de son communiqué, considéra

« que la gravité et le caractère provocateur des propos tenus par le chroniqueur, qui constituent un éloge de la discrimination et la critique de toutes les institutions judiciaires qui contribuent à lutter contre celles-ci, alors que ces propos n’ont fait l’objet d’aucune contradiction ni mise en perspective à l’antenne, constituaient un manquement caractérisé aux stipulations de la convention de RTL. Celles-ci précisent en effet que l’éditeur doit en effet veiller à promouvoir les valeurs d’intégration et de solidarité qui sont celles de la République et contribuer aux actions en faveur de la cohésion sociale et à la lutte contre les discriminations. »

RTL demanda au Conseil d’État d’annuler la décision pour excès de pouvoir, et, par une décision du 15 octobre 2018, le Conseil d’État annula la décision du CSA.

Le Conseil d’État cita tout d’abord l’article 1er de la loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, selon lequel :

« La communication au public par voie électronique est libre. L’exercice de cette liberté ne peut être limité que dans la mesure requise, d’une part, par le respect de la dignité de la personne humaine, de la liberté et de la propriété d’autrui, du caractère pluraliste de l’expression des courants de pensée et d’opinion et, d’autre part, par la protection de l’enfance et de l’adolescence, par la sauvegarde de l’ordre public, par les besoins de la défense nationale, par les exigences de service public, par les contraintes techniques inhérentes aux moyens de communication, ainsi que par la nécessité, pour les services audiovisuels, de développer la production audiovisuelle ».

Le CSA avait considéré que la radio s’était bien engagée par la convention conclue le 2 octobre 2012 entre CLT-UFA, la société éditrice de RTL, et le CSA, de « veiller à promouvoir les valeurs d’intégration et de solidarité qui sont celles de la République (…) [et à contribuer] aux actions en faveur de la cohésion sociale et à la lutte contre les discriminations ».

Mais, pour le Conseil d’État, si le principe d’égalité devant la loi interdit bien les discriminations, et si la radio s’était bien engagée par convention à promouvoir ces valeurs républicaines et à contribuer à la lutte contre la discrimination, il n’en demeure pas moins que ces obligations doivent « se combiner avec le principe de la liberté de communication des pensées et des opinons » qui est consacré et protégé par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, à valeur constitutionnelle, et qui est rappelé par l’article 1er de la loi du 30 septembre 1986.

Le Conseil d’État rappela enfin que Zemmour s’était exprimé durant une émission de trois minutes, qui invite des chroniqueurs aux opinions diverses et  dont le titre même « On n’est pas forcément d’accord », « invite les auditeurs à ne la recevoir qu’en tenant compte de son caractère polémique ».

Cette décision du Conseil d’État n’est pas surprenante puisque la liberté d’expression doit, selon les termes de la Cour européenne des droits de l’homme, protéger les informations et les opinions « qui heurtent, choquent ou inquiètent l’État ou une fraction quelconque de la population » (CEDH, Handyside c. Royaume-Uni, 7 décembre 1976).