CJUE: exploitants de plates-formes en ligne ne font en principe pas, eux-mêmes, une communication au public des contenus protégés par le droit d’auteur que leurs utilisateurs mettent illégalement en ligne

Le 22 juin 2021, la grande chambre de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu un arrêt dans les affaires jointes C-682/18, C-683/18, YouTube et Cyando.

Selon la CJUE, en l’état actuel du droit de l’Union, les exploitants de plates-formes en ligne ne font en principe pas, eux-mêmes, une communication au public des contenus protégés par le droit d’auteur que leurs utilisateurs mettent illégalement en ligne.

En outre, l’article 14, paragraphe 1, de la directive sur le commerce électronique doit être interprété en ce sens que l’activité de ces exploitants relève du champ d’application de cette disposition, s’ils ne jouent pas un rôle actif de nature à leur conférer une connaissance ou un contrôle des contenus téléversés sur leurs plateformes.

La directive 2019/790 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique n’était pas entrée en vigueur au moment des faits et les questions préjudicielles posées ne la concernent pas. L’arrêt rendu par la CJUE a d’ailleurs soin de noter que la décision est « en l’état actuel du droit de l’Union. ».

Les faits qui ont donné lieu à l’affaire C‑682/18 étaient les suivants :

Un producteur de musique avait conclu avec une artiste un contrat exclusif. Des œuvres d’un des albums de la musicienne, ainsi que des extraits d’un de ses concerts, avaient été publiés sans autorisation sur la plateforme YouTube. L’accès à ces informations avait été bloqué, puis rendu disponible à nouveau quelque temps après.

Le producteur avait demandé au Landgericht Hamburg, le tribunal régional d’Hambourg, en Allemagne, d’ordonner à Google et YouTube de cesser de mettre ces contenus à la disposition du public. Le tribunal avait fait droit à ces demandes pour trois œuvres seulement. En appel, l’Oberlandesgericht Hamburg, le tribunal régional supérieur d’Hambourg, avait en partie reformé le jugement de première instance, tout en notant que YouTube n’était pas responsable de la création ni de la publication du contenu illicite.  

Les faits qui ont donné lieu à l’affaire C‑683/18 étaient les suivants :

La maison d’édition Elsevier, titulaire des droits d’exploitation exclusifs des œuvres en cause, Gray’s Anatomy for Students, Atlas of Human Anatomy et Campbell-Walsh Urology, avait constaté que celles-ci avaient été téléversées sans autorisation sur une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers exploitée par la société Cyando. Cette dernière en avait été informé par notification de la maison d’édition. Elsevier avait demandé au Landgericht München, le tribunal régional de Munich, d’ordonner la cessation de ces atteintes au droit d’auteur et le tribunal avait condamné Cyando comme complice des atteintes au droit d’auteur. En appel, l’Oberlandesgericht München (tribunal régional supérieur de Munich,) considéra que Cyando ne pouvait être l’auteur des atteintes au droit d’auteur puisqu’il ne fait que fournir les moyens techniques permettant à ses utilisateurs de téléverser les œuvres.

Le Bundesgerichtshof, la Cour fédérale de justice, avait été saisi des deux affaires et avait posé dans ses deux affaires plusieurs questions préjudicielles à la CJUE, qui portaient, inter alia, sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, et de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information (directive sur le droit d’auteur) et de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur ( directive commerce électronique).

La CJEU avait lié les affaires C‑682/18 et C‑683/18.

Est-ce que l’exploitant d’une plateforme de partage de vidéos ou d’une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers effectue lui-même un « acte de communication » ?

L’article 3-1 de la directive sur le droit d’auteur dispose que les « États membres prévoient pour les auteurs le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire toute communication au public de leurs œuvres, par fil ou sans fil, y compris la mise à la disposition du public de leurs œuvres de manière que chacun puisse y avoir accès de l’endroit et au moment qu’il choisit individuellement ».

Selon la CJEU, la notion de « communication au public », au sens de l’article 3-1 de la directive sur le droit d’auteur couvre « toute communication au public non présent au lieu d’origine de la communication » ce qui englobe « toute transmission ou retransmission, de cette nature, d’une œuvre au public, par fil ou sans fil, y compris la radiodiffusion ».

Il convient néanmoins de maintenir un « juste équilibre » entre l’intérêt des titulaires des droits d’auteur et des droits voisins à protéger leurs droits et la protection des intérêts et des droits fondamentaux des utilisateurs d’objets protégés, en particulier de leur liberté d’expression et d’information. Ce « juste équilibre » doit être recherché, selon la CJUE, « en tenant compte également de l’importance particulière d’Internet pour la liberté d’expression et d’information ».

Selon une jurisprudence bien établie de la CJEU, une communication au public associe deux éléments cumulatifs :

  • un acte de communication d’une œuvre et
  • la communication de cette œuvre à un public.

C’est pourquoi une appréciation individualisée est nécessaire, en tenant compte de critères complémentaires « de nature non autonome et interdépendants les uns par rapport aux autres » et qui peuvent être présents avec une intensité très variable, ce qui requiert de les appliquer individuellement, mais également dans leur interaction les uns avec les autres (VG Bild–Kunst, C‑392/19, point 34).

L’un de ces critères est « le rôle incontournable joué par l’exploitant de la plateforme et le caractère délibéré de son intervention ». Donner accès au public à une œuvre protégée en pleine connaissance des conséquences de son comportement, est bien un acte de communication. La notion de public est large puisqu’elle vise un nombre indéterminé de destinataires potentiels et implique, par ailleurs, un nombre de personnes assez important (voir par exemple, BY c. XC, C‑637/19, point 26).

En outre, pour être communiquée au public, l’œuvre doit avoir été communiquée selon un mode technique spécifique, différent de ceux utilisés auparavant, ou, à défaut, avoir été communiquée à un « public nouveau », qui n’avait pas été déjà pris en compte par le titulaire du droit lorsqu’il a autorisé la communication initiale de son œuvre au public (Nederlands Uitgeversverbond et Groep Algemene Uitgevers, C‑263/18 point 70 ).

Ce sont les utilisateurs des plateformes, et non-celles-ci, qui téléversent des contenus potentiellement illicites et ce sont également eux qui décident si ces contenus sont mis à la disposition d’auteurs utilisateurs. La plateforme exploitée par Cyando communique exclusivement le lien permettant d’avoir accès au contenu à l’utilisateur qui l’a téléchargé et celui-ci peut décider de le communiquer ou non à des tiers. YouTube permet à ses utilisateurs de téléverser des contenus en mode privé.

La CJEU cita son arrêt Stichting Brein, C‑610/15, point 26, qui avait précisé qu’un

« utilisateur réalise un acte de communication lorsqu’il intervient, en pleine connaissance des conséquences de son comportement, pour donner à ses clients accès à une œuvre protégée, et ce notamment lorsque, en l’absence de cette intervention, ces clients ne pourraient, ou ne pourraient que difficilement, jouir de l’œuvre diffusée ».

Dans notre affaire, les utilisateurs ayant téléchargé ces contenus avaient bien fait acte de communication au public puisqu’ils avaient donné, par l’intermédiaire des plateformes, accès à des œuvres protégées à des tiers, et ce sans l’accord des titulaires des droits d’auteurs ou des droits voisins.

Si l’exploitant joue bien « un rôle incontournable dans la mise à disposition de contenus potentiellement illicites, effectuée par ses utilisateurs, » cela n’est pas le seul critère que les tribunaux doivent considérer, et le critère du caractère délibéré de l’intervention de l’exploitant doit également être considéré, sans cela toute « fourniture d’installations destinées à permettre ou à réaliser une communication » serait un acte de communication au public, une interprétation qui serait contraire au considérant 27 de la directive sur le droit d’auteur selon lequel simplement fournir des installations destinées à permettre ou à réaliser une communication n’est pas une communication au sens de la directive.

L’exploitant doit être intervenu « en pleine connaissance des conséquences de son comportement dans le but de donner au public accès à des œuvres protégées pour cette intervention soit un acte de communication (Cyando, point 81). Il n’est pas suffisant que l’exploitant connaisse, « d’une manière générale, la disponibilité illicite de contenus protégés sur sa plateforme », sauf s’il a été averti par le titulaire des droits qu’un contenu protégé a été illégalement communiqué au public par l’intermédiaire de sa plateforme et qu’il s’abstient de prendre « promptement » les mesures nécessaires pour rendre le contenu inaccessible (Cyando, point 85). Le simple fait que l’exploitant poursuive un but lucratif ne présume ni n’établit le caractère délibéré d’une communication illicite de contenus protégés (Cyando, point 86).

La CJEU précisa que son arrêt GS Media (C-160/1) ne devait pas être interprété comme établissant une telle présomption. La CJEU avait jugé dans cette affaire que fournir un lien hypertexte vers une œuvre protégée, sans l’autorisation du titulaire du droit d’auteur, constitue une « communication au public » au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive sur le droit d’auteur, si la personne savait que l’œuvre avait été publiée illégalement, si le lien permet de contourner des mesures de restriction prises par le site où se trouve l’œuvre protégée ou si le placement du lien est effectué dans un but lucratif, auquel cas la connaissance du caractère illégal de la publication doit être présumée. Il semble ainsi que GS Media ne s’applique pas aux plateformes.

La CJUE nota que YouTube n’intervient pas dans la création des contenus téléversés par ses utilisateurs, et, qu’en autre, ceux-ci sont clairement informés qu’il leur est interdit de téléverser des œuvres contrevenant aux droits des tiers. YouTube a mis en place des dispositifs, notamment un bouton de notification et un procédé spécial d’alerte, afin qu’il soit possible de signaler et faire supprimer des contenus illicites. De manière similaire, Cyando ne crée, ne sélectionne ni ne contrôle les contenus téléversés sur sa plateforme et ses conditions d’utilisation informe les utilisateurs qu’il est interdit de porter atteinte au droit d’auteur par l’intermédiaire de la plateforme.

La CJEU conclue que

« l’article 3, paragraphe 1, de la directive sur le droit d’auteur doit être interprété en ce sens que l’exploitant d’une plateforme de partage de vidéos ou d’une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers, sur laquelle des utilisateurs peuvent mettre illégalement à la disposition du public des contenus protégés, n’effectue pas une « communication au public » de ceux-ci, au sens de cette disposition, à moins qu’il ne contribue, au-delà de la simple mise à disposition de la plateforme, à donner au public accès à de tels contenus en violation du droit d’auteur » (Cyando, point 102).

Est-ce que l’exploitant d’une plateforme de partage de vidéos ou d’une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers exploitant de plates-formes en ligne peut bénéficier de l’exonération de responsabilité prévue par la directive e- commerce pour les contenus protégés que des utilisateurs communiquent illégalement au public par l’intermédiaire de sa plateforme ?

L’article 14.1 de la directive e-commerce permet aux fournisseurs d’hébergement de limiter leur responsabilité s’ils stockent des informations à la demande d’un tiers s’ils n’ont « pas effectivement connaissance de l’activité ou de l’information illicites » ou s’ils ont agi « promptement pour retirer les informations ou rendre l’accès à celles-ci impossible ».

Selon le considérant 42 de la directive e-commerce, cette dérogation de responsabilité ne s’applique que si l’activité du prestataire de services dans le cadre de la société de l’information revêt un caractère purement technique, automatique et passif, ce qui signifie qu’il n’a pas eu connaissance des informations transmises ou ni ne les a contrôlées (Google France et Google, C‑236/08 à C‑238/08, points 112 et 113). Son rôle doit avoir été purement technique, automatique et passif, et il ne doit pas avoir connu ou contrôler les contenus stockés (L’Oréal e.a., C‑324/09, point 113).

La CJEU conclue que l’article 14, paragraphe 1, de la directive sur le commerce électronique doit être interprété en ce sens que l’activité de l’exploitant d’une plateforme de partage de vidéos ou d’une plateforme d’hébergement et de partage de fichiers relève du champ d’application de cette disposition, s’il ne joue pas un rôle actif de nature à lui conférer une connaissance ou un contrôle des contenus téléversés sur sa plateforme.